NOUVELLE: MRS MULLIGAN

Publié le 23 Février 2013

Wadena, Minnesota, 28 Août 1999

C’était une belle journée d’été. La température était douce et Mary Mulligan, confortablement assise dans un fauteuil, lisait à l’ombre des grands arbres, dans le parc de la maison de retraite de Wadena. Elle ne prêtait guère attention aux autres pensionnaires qui, par petits groupes, discutaient ou jouaient au cartes autour d’elle, ni aux deux messieurs qui, à la table toute proche, se concentraient sur leur partie d’échecs.

Nancy, l’infirmière de service s’approcha d’elle. Mary Mulligan l’aimait bien. Elle était douce, toujours souriante et d’une patience d’ange avec les pensionnaires.

- Mary, vous avez un visiteur. Il vous attend devant votre appartement.

- Je viens, Nancy.

Mary se leva. Aussitôt, tous les hommes tournèrent leur regard vers elle. A soixante-treize ans, elle était encore une belle femme, grande, élancée, toujours coquette et particulièrement dynamique malgré cette arthrose à la hanche qui la faisait de plus en plus souffrir et la gênait pour marcher. Elle se rendit à son appartement. Un spacieux trois pièces qui donnait sur le parc et la rivière. Un jeune homme l’attendait.

- Bonjour. Mrs Mulligan ?

- Oui. Et qui êtes-vous jeune homme ?

- Malcolm Stratford. Je suis journaliste stagiaire au Wadena Daily News

- Quoi ? Voilà des années que je vis ici et que j’œuvre pour cette ville sans rien demander en retour et pour une fois que je demande à parler à un journaliste, votre patron ne trouve rien de mieux que de m’envoyer un stagiaire…

- Je peux repartir si vous le souhaitez, Madame.

- Non ! Restez ! Je n’ai pas l’habitude de faire déplacer les gens pour rien. Et puis, j’ai d’importantes révélations à faire alors, c’est à vous que je les ferai, tant pis pour vos collègues et votre idiot de patron. Venez avec moi !

Ils entrèrent dans l’appartement. Mrs Mulligan ferma soigneusement la grande baie vitrée et baissa un peu le store.

- Asseyez-vous Monsieur Stratford. Vous permettez que je vous appelle Malcolm ?

Un peu décontenancé par cette entrée en matière, le jeune homme acquiesça et s’installa dans un fauteuil, face à la vieille dame.

- Tout d’abord, Malcolm, sachez que ce que je vais vous révéler est une vraie bombe qui fera de vous un grand journaliste. Mais, vous devrez me promettre d’attendre ma mort pour publier mon histoire, sinon, je vous garantis que je vous ferais avoir de gros ennuis et nierais vous avoir raconté cela.

- Je vous le promets Madame. Mais pourquoi ces précautions ?

- Parce que je me fais vieille et que je voudrai avant ma mort, raconter mon histoire mais néanmoins finir ma vie tranquille, ici, dans cette maison. Tenez votre promesse Malcolm, car je vous assure que je tiendrai la mienne. Que savez- vous de moi au juste ? Votre patron vous- a- t-il fait un topo avant de vous envoyer ici ?

- Oui, un peu, Mrs Mulligan. Je sais que vous êtes venue vous installer dans cette ville dans les années soixante. Que vous avez beaucoup œuvré pour le bien- être des habitants de cette ville en finançant des crèches, l’hôpital et même cette maison de retraite. On dit que votre fortune est immense. Mais personne ne sait rien de votre vie avant votre arrivée ici…

- Et vous allez être le premier à la connaitre Malcolm. Et vous allez vite comprendre pourquoi je vous demande de garder le silence jusqu’à ma mort.

- Vous m’intriguez Madame.

- Prenez de quoi noter.

La vieille dame prit une profonde inspiration.

- Voilà. En réalité, je ne m’appelle pas Mary Mulligan. Mon vrai nom est Norma Jean Baker.

- Comment ? Vous plaisantez j’espère !

- En ai-je l’air jeune homme ?

- Mais… Marilyn, enfin, Norma Jean est morte ! A Los Angeles, il y a trente- sept ans ! Avec tout le respect que je vous dois, j’avoue que j’ai beaucoup de mal à vous croire.

- Vous me prenez pour une mythomane ? Une vieille folle ? Je me doutais un peu que les choses se passeraient ainsi et je vais vous prouver que je ne vous mens pas. Attendez-moi ici.

Elle se leva et se rendit dans sa chambre. Stratford hésita. Cette vieille dame était sûrement folle et il devait s’en aller. Mais, il avait pour habitude de faire confiance à son instinct. Et celui-ci lui disait de rester et d’écouter cette femme qui prétendait être Marilyn Monroe. Elle revint en portant un écrin et quelques papiers. Il l’observa attentivement, cherchant en elle ce qui restait de celle qu’elle prétendait être. Elle lui tendit l’écrin et les papiers.

- Regardez attentivement ceci je vous prie. Surtout l’inscription sur la bague.

Il prit les papiers et les lut avec attention. Leur contenu était plus que troublant et il commença, non sans stupeur, à croire ce que son interlocutrice lui disait. Puis il sortit la bague de son écrin. Un bijou splendide, serti de diamants et rehaussé d’une aigue-marine magnifique. Lorsqu’il lut l’inscription à l’intérieur de l’anneau, il se sentit défaillir. Il n’y avait plus aucun doute. Cette vieille dame assise en face de lui était bien Norma Jean Baker ! Marilyn Monroe ! L’icône et le fantasme de plusieurs générations, un mythe ! Les questions se bousculaient dans son esprit et il tenta d’y mettre de l’ordre et de faire passer son trouble. En face de lui, la vieille dame le regardait, impassible.

- Alors jeune homme ? Doutez-vous encore ? Me prenez-vous toujours pour une vieille folle ?

- Non, Madame ! Je…. Excusez-moi. Je suis excessivement troublé.

- Je vous comprends. Voulez-vous un café ? Un verre d’eau ?

- Je crois qu’il vaudrait mieux un alcool fort

- Comme vous voudrez. J’ai un excellent whisky qui fera l’affaire.

Elle servit deux verres d’alcool et en tendit un au jeune homme qui en avala une longue gorgée

- Merci Madame. Il est excellent.

- Je le fais venir de Virginie. Mon médecin me dit que je ne devrais pas en boire mais cela fait partie des petits plaisirs que je m’octroie de temps en temps. Pouvons-nous continuer notre entretien maintenant ?

-Oui, bien sûr.

Il sortit son carnet noir et son stylo.

- La première question qui me vient est : Si vous n’êtes pas morte le 5 Août 1962, qui était la jeune femme que l’on a trouvée dans votre maison ?

- Sherry Applegate. C’était une jeune comédienne que j’avais rencontrée à la Fox. Une de ces starlettes qui, comme moi à mes débuts, faisaient le siège des studios de cinéma. J’ai tout de suite été frappée par sa ressemblance avec moi. Nous sommes devenues amies et je l’ai engagée. Moyennant quelques efforts de maquillage et de coiffure et un gros chèque chaque mois, elle me remplaçait de temps à autres quand je voulais m’échapper un peu de chez moi et d’Hollywood. Pauvre Sherry. Ce soir d’Août, je l’ai envoyée à la mort. Ils l’ont droguée et assassinée en pensant que c’était moi.

- J’ai lu un livre au sujet de votre mort…

- Si vous parlez de celui de Don Wolfe, sachez que sa thèse tient la route. Il a même entièrement raison. On voulait vraiment m’assassiner.

- Pourquoi ?

- Parce que je devenais gênante. Parce que j’avais menacé de révéler à la presse et au F.B.I. ce que j’avais vu et ce que certaines personnes me faisaient subir.

- Qui ça ?

- Le clan Kennedy, bien sûr et surtout cette pourriture de Sinatra.

- Vous allez sûrement m’expliquer…

- Oui. Les Kennedy étaient avides de pouvoir et abusaient de celui qu’ils avaient, comme ils abusaient de moi et d’autres filles. Permettez-moi de ne pas vous raconter cela dans les détails, ces souvenirs me sont pénibles. Quant à Sinatra, c’était un type abject. Il fricotait avec la mafia et trempait dans des histoires de drogue et de prostitution. Il ne devait qu’à son amitié avec les Kennedy de ne pas être inquiété par la police.

- Mais, on vous disait amoureuse de John Kennedy.

- Je l’ai été, c’est vrai. C’était un homme séduisant et il plaisait aux femmes. Je suis tombée sous son charme et j’avoue que j’en ai bien profité, sur tous les plans. Mais, lui et son clan m’ont manipulée. Et il était manipulé lui aussi.

- Par sa femme ?

Mary Mulligan éclata de rire.

- Jackie, une manipulatrice ? Vous voulez rire. C’était une idiote ! Un porte- manteau pour ses tailleurs Chanel, rien de plus. Et, John me l’a avoué, un vrai glaçon. Non, ce sont Sinatra et la famille de John qui tiraient les ficelles. J’ai assisté et participé à des soirées où la drogue circulait librement, où des filles étaient violées après avoir été droguées, j’en ai fait les frais moi aussi, hélas. Et le grand organisateur de ces orgies était Sinatra. J’ai vu toutes les magouilles auxquelles se livrait le clan Kennedy pour garder le pouvoir. Je les ai vus broyer des hommes, détruire des familles entières. Un jour, j’en ai eu assez. J’en ai parlé à John qui s’est moqué de moi. Alors, je l’ai menacé de tout dire. Deux jours plus tard, Sinatra m’a appelée et m’a menacée à son tour. Soit je me taisais, soit j’allais au- devant de très gros ennuis. Alors j’ai pris mes dispositions…

- Comment ?

- Je n’étais pas la ravissante idiote qu’on croyait. Depuis longtemps déjà, avec la complicité d’un employé de ma banque, j’avais ouvert un compte au nom d’une amie d’enfance, morte très jeune, une certaine Mary Mulligan. J’avais transféré sur ce compte une bonne partie de mes cachets. J’avais aussi acheté des parts dans des sociétés, des actions, des immeubles. Fin juillet 1962, quand Sinatra m’a menacée, j’étais à la tête d’une immense fortune. Alors, en quelques jours j’ai pris ma décision. J’étais en plein tournage et j’ai fait savoir que j’étais souffrante. Le 3 Août, j’ai demandé à Sherry de prendre ma place chez moi et je me suis réfugiée à Santa Barbara. Et dans la nuit du 4 au 5, ils ont mis leurs menaces à exécution. Eunice Murray, Ralph Greenson n’était que des exécutants. C’est Bob Kennedy qui a donné le feu vert et il était là pour s’assurer que le travail était fait. Pauvre Sherry.

- Qu’avez- vous fait ensuite ?

- Je suis restée à Santa Barbara pendant quelques jours, le temps que la tempête médiatique se calme et que Marilyn Monroe soit enterrée. J’étais très triste pour Sherry que j’aimais beaucoup mais, en même temps, je me disais que l’enfer était fini et j’ai organisé ma nouvelle vie. J’ai changé de couleur de cheveux, modifié mon apparence physique. Sous le nom de Mary Mulligan, j’avais acheté une maison ici à Wadena. Quelques semaines après « mon « enterrement, j’ai pris un car pour le Minnesota et je suis arrivée et me suis installée ici. J’ai prétexté qu’on m’avait volé mes papiers pendant le voyage pour en faire refaire d’autres au nom de Mary Mulligan et le tour était joué. Wadena était une ville pauvre mais j’ai trouvé les gens d’ici tout à fait charmants et j’ai décidé d’utiliser une partie de ma fortune pour le bien de cette ville.

- Personne ne s’est jamais doué de rien ? On ne vous a jamais reconnue ?

- Non. J’ai mené une vie paisible ici. Bien loin de celle que j’avais à Hollywood. Je me suis occupée de mes œuvres, des enfants de cette ville. Personne ne m’a jamais rien dit ni posé de questions et c’est très bien ainsi. Vous comprenez pourquoi je vous ai fait faire cette promesse tout à l’heure. Je veux finir ma vie ici, tranquillement. Imaginez le cataclysme et l’enfer que deviendrait ma vie si vous révéliez maintenant ce que je viens de vous dire.

- J’imagine très bien, Madame et je vous assure que je tiendrai ma promesse.

- Bien. C’est très bien Malcolm. Maintenant, pourriez-vous me laisser ? Je suis un peu fatiguée.

- Oui, bien sûr. Pourrais-je….

- Revenir me voir ? Bien entendu. Quand vous le voudrez.

- Au revoir Madame.

- Au revoir Malcolm. Et saluez votre patron de ma part.

Mary Mulligan raccompagna le jeune homme puis revint s’asseoir dans son fauteuil. Elle était soulagée. Enfin, elle avait pu dire la vérité et se débarrasser une bonne fois pour toutes de ce fantôme qui la hantait, celui de Marilyn Monroe.

Malcolm Stratford vint plusieurs fois la revoir dans les semaines suivantes et ils eurent de longues discussions. Elle s’était prise d’affection pour le jeune journaliste et lui dévoilait lentement les détails de sa vie qu’il notait dans son petit carnet noir.

Et puis il partit pour New York où un journal l’avait embauché.

Un après- midi du mois de juin 2001, en sortant de son appartement pour se rendre dans le parc, Mary Mulligan fit une mauvaise chute. A l’hôpital, on diagnostiqua un traumatisme crânien. Elle s’éteignit dans la nuit, emportant avec elle tous ses secrets.

Epilogue

New York, 11 septembre 2001

Dans son bureau de la tour Nord du World Trade center, Malcom Stratford relut la lettre qu’il avait reçue trois jours plus tôt. Un de ses amis, resté à Wadena, l’avait informé du décès de Mrs Mulligan mais, apparemment la vieille dame ne l’avait pas oublié et l’avait couché sur son testament. C’est en tout cas ce qu’écrivait le notaire. Il rangea la lettre dans la poche de son veston avec le carnet noir qui depuis deux ans ne le quittait pas. Ce soir, il prendrait l’avion pour le Minnesota. Il se remit à son travail et jeta un coup d’œil à sa montre.

Il était 8 h 44…

Rédigé par LIOGIER François

Publié dans #NOUVELLES

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