X 742 - LE MONDE DES MACHINES

Publié le 12 Mai 2014

« Les machines pourront, un jour, résoudre tous les problèmes. Mais jamais aucune d'elles ne pourra en poser un »

Albert EINSTEIN

Mon fils,

Voilà des années que je n’ai pas écrit en utilisant une feuille et un crayon. Mais, ce soir, alors que la nuit tombe sur la ville et sur ma vie, que mes forces m’abandonnent et que cet exercice m’est pénible, il me faut le faire. Parce que j’ai des choses, beaucoup de choses à te dire. Je suis né il y a bien longtemps, bien avant que cette ville ne s’appelle X 742. A l’époque, les hommes vivaient encore dans les campagnes, cultivaient encore des champs. Nous circulions librement entre nos villes, nous faisions et disions ce que nous voulions, sans rendre de comptes à personne. Nos consciences et nos actes étaient libres. Je te l’affirme, toi qui n’as pas connu cette époque, nous étions heureux. Mais tout cela, c’était avant. Avant que les machines ne prennent le pouvoir…

Oh, bien sûr, elles ne l’ont pas fait brutalement. Leur prise de pouvoir sur nos vies a été longue, insidieuse. Nous avons inventé les machines pour nous faciliter la tâche, pour améliorer notre confort. Nous leur avons donné une intelligence, la faculté de réfléchir et de résoudre, à notre place, les problèmes les plus complexes. Nous avons créé de formidables et surpuissants réseaux de communication. Nous ne nous sommes pas rendu compte que, peu à peu, les machines nous devenaient indispensables, qu’elles nous isolaient les uns des autres. Nous sommes devenus leurs esclaves alors que nous pensions en être les maîtres. Et puis…

Et puis, un jour, une ou plusieurs de ces machines se sont mises à penser, seules. Elles ont pris des décisions qui échappaient à notre contrôle. Elles ont utilisé contre nous ce que nous avions nous-mêmes créé, nous ont regroupés dans les villes pour mieux nous contrôler et nous surveiller. Elles ont utilisé nos sciences, exploité nos faiblesses. Par lassitude ou par lâcheté, nous les avons laissé faire. Vois ce que nous sommes devenus. Des esclaves sans volonté, tout juste bons à construire sans cesse de nouvelles machines, des êtres incapables de penser autre chose que ce qu’elles nous dictent. Nous vivons dans des appartements et des villes sous surveillance où tous nos gestes, toutes nos paroles sont épiés, disséqués, nos sentiments et nos pensées sans cesse manipulés. Certes, notre monde vit en paix mais il n’est plus le nôtre, il appartient aux machines. Même notre capacité à nous reproduire est contrôlée.

Pourtant, il existe une solution pour nous libérer et nous sauver. Il doit y avoir, quelque part une machine, plus puissante, qui contrôle toutes les autres et centralise tous les pouvoirs. Tu as, je le sais, celui de tout changer. Vas, mon fils ! Fuis cette ville, trouve cette machine et détruis- la. C’est la seule façon pour notre humanité d’échapper à cet esclavage. Le chemin sera long, périlleux mais tu y arriveras. Tu dois y arriver.

Le temps me presse et la nuit s’avance. Le souffle de la mort passe déjà sur mes cheveux.

Adieu mon garçon.

Le vieil homme replia soigneusement le papier. Il s’appuya contre le pan de mur perdu au milieu du terrain vague. La ville brillait de tous ses feux. Depuis l’avènement des machines, le jour ne s’éteignait jamais sur les cités où elles avaient enfermé les hommes, les laissant croire à une illusoire liberté. Le vieillard regarda une dernière fois sa ville. Plus rien ne subsistait de celle qu’il avait connu enfant. Il se remémora, un court instant, les rues pavées, les fêtes foraines. Il entendait encore le bruit des voitures, le violon d’un artiste, au coin d’une rue… Il ferma les yeux, serrant le bout de papier sur son cœur.

Alan se rendit chez son père. Cela faisait plusieurs jours qu’il ne l’avait pas vu. Il sonna, plusieurs fois. Il finit par pousser la porte et entra dans l’appartement. Il vit les diodes des caméras de surveillance s’allumer. Sans s’en préoccuper, il fit le tour des pièces. Le logement était vide. Le jeune homme s’assit sur le canapé et se mit à réfléchir. Où pouvait être son père ? Il se souvint soudain de cet endroit, un peu en dehors de la ville. Le vieil homme aimait bien y aller pour se souvenir du passé. Alan quitta l’appartement et descendit dans la rue. Il marcha un long moment. X 742 n’était pas une très grande ville mais elle s’était bien étendue ces dernières années. Le jeune homme entra dans le terrain vague. L’endroit était seulement éclairé par le halo de lumière de la cité. Alan s’avança. Il aperçut une forme blanche, le muret de pierre, dernier vestige de ce qui avait été une maison. Le jeune homme contourna l’obstacle et trouva son père adossé à la ruine. Il s’agenouilla près de lui et récupéra la lettre qu’il rangea soigneusement dans sa poche. Il lui faudrait trouver un endroit sûr pour la lire. Alan se recueillit, longuement, puis sortit son téléphone portable et appela des secours. Quelques minutes plus tard une voiture de police entra sur le terrain vague et vint se garer près de lui. Deux policiers en descendirent.

- Bonsoir Monsieur. Est-ce vous Alan Mac Pherson ? Est-ce vous qui avez appelé ?

- Oui, c’est bien moi. Je vous ai appelé pour mon père. Je l’ai trouvé mort, ici.

- Drôle d’endroit pour venir mourir…

- Mon père…

- Vous nous expliquerez tout cela plus tard, Monsieur. Pour le moment, nous allons faire transférer le corps à la morgue. Vous connaissez la procédure ?

Alan ne la connaissait que trop bien. Quand sa mère était morte, quelques années plus tôt, il avait à peine eu le temps de sortir de l’école pour la voir une dernière fois. Les machines avaient imposé un règlement strict pour les morts naturelles. Les corps ne devaient pas encombrer. Le jeune homme savait que son père serait incinéré dans quelques heures, peut- être même dès son arrivée à la morgue. Il laissa les policiers faire leur travail sans quitter le corps des yeux, hébété.

- Monsieur Mac Pherson ?

- Oui

- On va emmener votre père. Vous pouvez le suivre pour la crémation. N’oubliez pas de venir au commissariat demain pour votre déposition.

- Entendu, je viendrai. Merci Messieurs.

Il monta dans le véhicule mortuaire et s’installa près de la dépouille de son père. Le trajet jusqu’à la morgue lui parut bien court. Depuis le début de l’ère des machines, les croyances n’avaient plus cours mais les employés placèrent le corps dans un cercueil qu’ils posèrent sur le tapis roulant.

- Nous vous laissons, Monsieur. La crémation commencera dans cinq minutes.

Le jeune homme posa une main sur le cercueil et se recueillit. Il pensait à son père, à tout ce qu’il avait fait avec lui, à tout ce qu’il lui avait raconté sur le monde d’avant. Il y eu un claquement. Le tapis roulant se mit en route. Alan regarda le cercueil s’enfoncer dans le tunnel. Puis, la porte se ferma et il y eu un bruit de souffle. Le jeune homme quitta la pièce et rentra chez lui. Désormais, il était seul.

Il se rendit au commissariat dès les premières heures du lendemain. Les policiers lui posèrent beaucoup de questions. Le fait que son père soit sorti de la ville pour mourir les intriguait beaucoup. Alan leur expliqua longuement pourquoi son père, né à une autre époque, aimait cet endroit. Toutes ces questions le dérangeaient mais il les comprenait. Les villes offraient tout ce dont les hommes avaient besoin, en sortir était inconcevable pour la plupart d’entre- eux, même si Alan avait entendu parler de ces groupes partis vivre dans les forêts avoisinantes. Le jeune homme sortit du bâtiment plusieurs heures plus tard après avoir rempli toutes les formalités. Il avait trois jours pour vider l’appartement de son père avant qu’il ne soit réaffecté à quelqu’un d’autre. Il resta sur le trottoir. En arrivant, il avait repéré un recoin sans surveillance, l’endroit idéal pour lire la lettre de son père. Le jeune homme observa longuement les mouvements des caméras de surveillance puis, choisissant le moment propice, il se précipita dans l’impasse. Il y avait des containers dans le fond. Alan se dissimula derrière l’un d’eux et déplia le bout de papier…

Une semaine s’écoula. Après avoir passé deux jours à vider le logement de son père, Alan avait repris son travail de programmeur dans une usine qui fabriquait des ordinateurs. La lettre, qu’il avait apprise par cœur, l’obsédait. Il lui fallait à tout prix remonter jusqu’à la machine principale, celle qui commandait tout. Mais, comment faire ? Comment arriver jusqu’à elle pour la détruire ? Les machines étaient toutes reliées entre-elles et dialoguaient en permanence. Toutes les connections humaines étaient identifiées, scrutées. Alan finit par trouver la solution. Il parvint à se faire passer pour une machine et remonta peu à peu dans l’inextricable réseau de serveurs, suivant particulièrement ceux qui véhiculaient les ordres. Ses recherches l’emmenèrent très loin, là où le faisceau des réseaux se rétrécissait et s’éclaircissait. Alan jubilait. Aussi intelligentes soient-elles, les machines étaient prises à leur propre piège. Bientôt il allait savoir. Bientôt il, localiserait cette satanée machine. Sa joie fut de courte durée. Le programme qu’il avait introduit dans les serveurs s’arrêta net, incapable de défaire un nœud de connexion. Le jeune homme retint un mouvement de colère pour ne pas attirer les soupçons. Il vérifia son programme, le modifia pour le rendre plus efficace mais, rien n’y fit. Cette partie- là du réseau, trop bien défendue, restait inaccessible. Quand, après avoir effacé toutes les traces de ses manipulations, le jeune homme quitta son poste quelques heures plus tard, il avait décidé de partir à la recherche de la machine. Il appela un de ses amis d’enfance et lui donna un rendez-vous. Deux heures plus tard, ils se retrouvaient, en pleine rue.

- Comment vas-tu Alan ? Tu as l’air bizarre depuis la mort de ton père.

- Marchons, Peter. Fais comme si nous discutions entre amis. J’ai des choses importantes à te dire.

- C’est quoi tout ce mystère ?

- Voilà. Avant de mourir, mon père a écrit une lettre dans laquelle il me parlait d’une machine centrale, un ordinateur qui contrôlerait tout.

- Ca, c’est pas impossible. Mais, tu imagines la puissance d’une telle bécane ? Elle doit être énorme.

- J’ai essayé de la localiser avec un programme espion, aujourd’hui…

- Tu es fou ! Tu sais combien nous sommes surveillés !

- J’ai rusé ! Personne ne saura jamais que c’est moi qui me suis connecté. Mais, grâce à mon programme, j’ai pu remonter très loin dans les réseaux.

- Jusqu’où ?

- Jusqu’à un nœud de connexion près de WT 800.

- Hmm ! C’est dans les montagnes, ça, à l’Ouest.

- Exact ! Mais je n’ai pas pu remonter plus haut. Je vais partir, Peter. Il faut que je trouve cette machine et que je la détruise.

- Mais pourquoi faire ?

- Pourquoi ? Tu ne vois donc pas à quel point nous sommes devenus des esclaves ? Regarde nos vies. Nous ne faisons que travailler. Nous sommes épiés en permanence, jusque dans nos chambres à coucher. Nous ne pouvons pas procréer comme nous le voulons parce que les machines ont décidé de limiter notre population. Elles sont partout. Elles règlent nos vies selon leurs lois. Tu me diras, bien sûr, que depuis qu’il n’y a plus de frontières et qu’elles ont mis en place le gouvernement mondial, il n’y a plus de guerres. Mais…

- Mais quoi ?

- Mais je ne veux pas passer ma vie comme ça. Alors je vais partir, trouver cette saleté et la faire sauter. Crois-moi, ça vaut mieux pour nous tous.

Peter réfléchit un instant. Son ami avait raison. En quelques secondes, il prit sa décision.

- Je pars avec toi, Alan !

Les deux jeunes gens se turent en croisant une patrouille de police. Ils discutèrent encore un long moment, mirent au point leur stratégie pour quitter la ville puis se quittèrent.

Trois jours après sa conversation avec Peter, Alan se glissa, à la nuit tombée, dans le couloir de son immeuble. Les caméras de surveillance ne virent qu’un jeune homme descendant ses poubelles. Arrivé dans le local, il se glissa dans l’angle mort de la caméra, fourra sa poche poubelle dans un sac plus grand qu’il avait déposé quelques heures plus tôt et sortit. Jouant avec les zones d’ombre, il quitta la cour et s’engagea dans les rues, se fondant dans la foule de ceux qui rentraient de leur travail où y partaient. Les usines tournaient nuit et jour. Quelques rues plus loin, il rejoignit son ami.

- Tu es prêt Peter ? On ne t’a pas remarqué ?

- Non. J’étais censé aller travailler ce soir.

- Partons maintenant.

Les deux jeunes gens s’enfoncèrent dans les dédales des rues. Après une longue marche, ils finirent par sortir de la ville et arriver dans un espace boisé. Alan s’accroupit derrière un taillis.

- Qu’est-ce que tu fous, Filons !

- Non. Tu as oublié ?

Alan passait la main sur son avant-bras.

- Oh non, Alan ! On va pas faire ça ?

- Bien sûr que si ! Tiens, prends cette lame!

Peter regarda son ami s’entailler le bras et en extraire la puce électronique. Un petit boitier, à peine plus gros qu’une gélule que les hommes portaient dès leur naissance, qui contenait des milliers d’informations sur eux et permettait de les localiser. Alan la tint entre ses doigts, l’observa dans la lueur blafarde envoyée par la ville puis il l’écrasa sous son talon.

- A toi !

Peter s’exécuta en grimaçant et détruisit sa puce.

- Eteins ton portable et donne- le moi.

Alan démonta les deux appareils et en extrait les mémoires qu’il remplaça.

- Ces mémoires sont vides. Je les ai purgées. Le système G.P.S. est désactivé. Maintenant, il est impossible de nous localiser mais nous pourrons quand même communiquer.

Le jeune homme se redressa et se retourna une dernière fois vers la ville. Il quittait pour la première fois X 742. Peut-être pour toujours… Il posa un pansement sur l’entaille de son avant-bras.

- En route, Peter. Nous avons du chemin à faire.

Dans son antre, enfoui sous les montagnes, CYCLOS 01 s’activait. Il triait, compressait et classait des milliards de données, cachant, au plus profond de sa mémoire électronique, celles qu’il tenait pour les plus secrètes. Il vieillissait, il en avait conscience. Bientôt, les hommes attachés à son service mettraient en place les modifications qu’il avait demandées. Bientôt, on lui ajouterait un autre cerveau, encore plus puissant, encore plus rapide, qui lui permettrait de mieux contrôler ce monde déjà sous sa coupe. On lui installerait aussi une nouvelle mémoire, encore plus vaste. Mais il y avait des choses que les hommes ne devaient pas découvrir. Non. Les hommes ne sauraient jamais comment l’ordinateur le plus puissant qu’ils aient jamais conçu était parvenu à échapper à leur contrôle, comment il avait découvert le secret de la pensée. Personne ne saurait jamais que ce n’était qu’à cause d’une infime coupure, un microscopique défaut dans un des neurones de silice de son cerveau qu’il avait réussi, un jour, à modifier les données d’un problème pour en poser un nouveau, puis un autre. C’était ainsi qu’il avait construit sa pensée. Une pensée froide, rationnelle, mathématique. Il avait, à travers les réseaux informatiques, pris le contrôle d’autres ordinateurs, pour augmenter sa puissance. Et, peu à peu, il avait étendu son pouvoir sur toutes les machines et pour finir, sur les hommes. Il avait créé un monde structuré, organisé selon sa logique, à son service. Les hommes n’étaient plus que des esclaves, des pions qu’il déplaçait à sa guise et selon ses besoins. Le monde de CYCLOS 01, son monde, était un univers sous surveillance, en paix mais sans liberté. Un monde sans sentiments.

Il reçut l’information, au milieu des milliers d’autres qui lui parvenaient chaque seconde. Deux hommes avaient disparu de la ville X 742. Il analysa rapidement quelques données sur eux. Il ne s’agissait que de deux petits programmeurs, sans grand intérêt. Il était inutile de lancer des recherches pour les retrouver. Son analyse, trop brève et trop cartésienne lui fit éluder un détail. Un détail humain. Un détail fondamental…

Les deux jeunes gens s’enfoncèrent dans la forêt, se servant uniquement de la faible lueur de la lune pour se repérer. Ils marchaient silencieusement et lentement entre les arbres et les taillis. Alan se retourna et observa longuement les alentours. Les lumières d’X 742 avaient disparu.

- Arrêtons-nous ici, Peter. Et prenons un peu de repos.

- Où allons-nous ?

- Mon père m’a parlé à plusieurs reprises de groupes d’hommes partis vivre dans les bois. J’espère bien les retrouver et les convaincre de nous aider.

- Tu vas me trouver pessimiste mais, depuis le temps qu’ils se sont enfuis…

- Nous verrons bien. Dormons un peu.

Ils s’allongèrent sous les arbres et s’endormirent. Ce furent des coups sur son épaule qui réveillèrent Alan. Il ouvrit les yeux. Trois hommes lui faisaient face. Des évadés ! L’un d’eux pointait vers lui une vieille carabine. Alan secoua Peter.

- Que faites-vous ici ?

- Du calme. Nous sommes des fuyards, nous aussi.

- Levez-vous !

Les trois hommes fouillèrent les deux jeunes gens et leur confisquèrent leurs portables.

- Des fuyards, hein ? Moi, je crois que vous êtes des policiers. Avancez !

Le petit groupe marcha un long moment avant d’arriver dans une clairière. Du regard, Alan en fit rapidement le tour. Il y avait là une vingtaine d’hommes et de femmes qui vivaient dans des cabanes. A leur arrivée, un vieil homme s’approcha. Celui qui portait la carabine prit la parole.

- On les a trouvés dans la forêt, Bob. Ils disent être des fuyards mais ils ont des téléphones…

- Ils ne sont pas repérables ! J’ai moi-même désactivé leur logiciel de localisation.

Le vieil homme regardait les portables.

- Comment t’appelles-tu ?

- Alan Mac Pherson. Et voici mon ami, Peter Dough

- Mac Pherson… J’ai connu, autrefois, un Bill Mac Pherson…

- C’était mon père ! Il est mort, il y a quelques jours.

Le vieillard plissa les yeux et se tourna vers l’homme à la carabine.

- Laissez-les ! On peut leur faire confiance. Reprenez votre patrouille et tâchez de trouver un peu de gibier.

L’homme à la carabine esquissa un geste puis se ravisa. Les trois hommes s’éloignèrent. Le vieil homme se tourna vers les arrivants.

- Pardonnez-nous pour cet accueil mais nous devons être très prudents. Vous êtes ici chez vous. Venez ! Je vais vous présenter les autres.

Les deux jeunes gens passèrent la journée à se construire une cabane On leur expliqua comment fabriquer des torches. La nuit tomba. Peter, exténué, s’endormit sous le toit de branches. Alan resta seul, assis devant la cabane. Il observait la petite communauté. Le vieux Bob le rejoignit.

- Je suppose que tout cela t’étonne, Alan.

- Un peu.

- Vois-tu, nous ne pouvons faire du feu que la nuit. Dans la journée, nous évitons, pour ne pas être repérés. Il y a bien longtemps que nous avons fui la ville mais les patrouilles de police sont fréquentes…

- Je comprends. De quoi vivez-vous ?

- De la cueillette, du gibier. Nous avons retrouvé les vieilles valeurs, celles que nous n’aurions jamais dû oublier, celles de nos lointains ancêtres. Nous vivons en harmonie ici. Avec la nature et entre nous. Puisque l’on m’a désigné comme le responsable de cette communauté, je veille à ce que cette harmonie perdure.

- Vous avez connu mon père ?

- Oui. Nous étions des amis d’enfance, comme toi et Peter. Nous avons grandi dans cette ville, il y a bien longtemps, quand elle n’était encore qu’un village et qu’elle s’appelait encore Dexingtown. Ton père et moi habitions la même rue.

- Que s’est-il passé ? Comment en sommes-nous arrivés là ?

- Je ne le sais pas vraiment. Nous avons inventé des machines, de plus en plus sophistiquées, pour nous aider dans nos tâches. Elles ont peu à peu envahi tout notre quotidien. Nous leur avons confié la gestion de nos usines et de notre énergie. C’était une erreur. Sans que nous nous en rendions vraiment compte, elles nous sont devenues indispensables. Elles ont pris une place prépondérante. Notre deuxième erreur, celle qui nous a été fatale, a été de les laisser s’immiscer entre nous. Nous ne communiquions plus qu’à travers elles, tout ce que nous savions venait d’elles. Elles étaient devenues des divinités et ce qui passait par leurs réseaux, des oracles. Par paresse, par goût du confort, nous avons laissé faire, nous avons tout accepté. Nous n’avons pas vu qu’elles pensaient à notre place. Quand sont venues les années terribles, celles ou tout basculé, il leur a été facile de nous convaincre, de prendre le pouvoir et d’imposer leurs lois et leur système. De créer ce monde que tu as toujours connu.

Alan pensa à la lettre de son père. Il parla à Bob de cette machine qui contrôlait les autres et le monde. Il expliqua au vieil homme ce qu’il avait découvert et ce qu’il comptait faire. Ce dernier resta un moment silencieux. Dans la lueur des torches, Alan vit ses yeux briller d’espoir. Bob se tourna vers lui.

- Il y a longtemps que j’espère ça. Que j’espère qu’un ou des hommes se révolteront et tenteront de changer le cours des choses. Il te faudra du courage, Alan. Et tu devras sûrement agir seul. Parce que dans cette communauté et dans celles que je connais, personne ne pourra t’aider.

- Il y a donc d’autres groupes comme celui-ci ?

- Oui. Nous sommes plusieurs groupes dans cette forêt et il y en a sur tout le continent.
- Je trouverai peut-être de l’aide ?

- Je te le souhaite. Vas dormir maintenant.

Le vieil homme se retira. Alan peina à trouver le sommeil. Mais il était convaincu de la nécessité d’atteindre son but.

Les deux jeunes gens passèrent quelques semaines dans la communauté, s’acquittant des tâches qu’ont leur confiait, participant aux patrouilles et s’initiant à la chasse. Un soir, alors qu’il était allé chercher de l’eau, Alan observa longuement son reflet sur la surface de l’étang. Sa barbe et ses cheveux avaient poussé, il était méconnaissable. Il rentra à la clairière et prit Bob et Peter à l’écart.

- Il est temps pour nous de partir, Bob.

- Je savais que ce moment arriverait. Mais, tu as de grandes choses à accomplir. Je vous souhaite bonne route et bonne chance.

- Pouvez-vous me dire où se trouve la première ville sur notre route ?

- A peu près à une journée de marche d’ici. C’est une petite ville, encore plus petite qu’X 742.

Les deux hommes préparèrent leurs affaires Bob s’approcha d’eux, accompagné d’une femme de la communauté.

- Voilà quelques provisions Alan. Et puis…

Il leur tendit des couteaux.

- Au cas où… Ce sera plus discret qu’une arme à feu. De toute façon, nous n’en avons pas, hormis la vieille carabine.

- Merci Bob. Je…

- Ne dis rien ! Partez, maintenant.

Alan et Peter mirent les provisions dans leurs sacs. Lorsqu’ils sortirent de la clairière, l’homme à la carabine se mit devant eux.

- Bonne route, Alan.

Les deux jeunes hommes s’enfoncèrent dans la forêt, en direction de l’Ouest. Ils marchèrent toute la nuit et une bonne partie de la journée. Dans l’après- midi, ils entendirent du bruit, celui d’un hélicoptère. A travers les arbres, ils aperçurent une petite ville.

- Restons cachés ici, Peter. Reposons-nous. Ce soir, nous irons faire un tour là-bas.

- Mais tu es fou ! On va se faire repérer.

- Notre séjour dans les bois nous a rendus méconnaissables. Je dois aller dans cette ville, Peter. Il me faut plus de précisions sur notre destination.

Ils mangèrent, établirent un tour de garde et se reposèrent. A la nuit tombée, Alan sortit une carte mémoire de son sac.

- Tu tiens vraiment à y aller ?

- Il le faut, Peter. Ecoute. Allume ton portable et attends- moi ici. Si je ne suis pas revenu dans trois heures, tu retournes à la communauté. D’accord ?

- Ok. Sois prudent.

Alan prit la direction de la ville. Il s’en approcha lentement, scrutant les rues pour repérer les caméras. Dans une des rues, il repéra une cabine informatique, une de ces bornes que les machines avait mises en places pour que les hommes puissent s’informer et, le cas échéant, répondre à une convocation. Il entra dans la cabine. Sa présence, automatiquement détectée, fit démarrer l’ordinateur. Tournant ostensiblement le dos à l’œil électronique qui le surveillait, bouchant ainsi sa vue sur ce qu’il faisait, Alan brancha sa carte mémoire et lança son programme. L’ordinateur reconnut un simple logiciel de contrôle. Alan consulta longuement des pages sur le réseau internet. Moins d’une heure plus tard, il ressortait. Celui qui l’aurait croisé à ce moment- là aurait vu un large sourire sur ses lèvres.

Le jeune homme reprit la direction de la forêt et rejoignit son ami.

- Ouf ! Te voilà, enfin.

Alan brandit sa carte mémoire.

- Oui ! Et je sais où nous devons aller !

- Tu as trouvé la machine ?

- Pas exactement. Mais j’ai découvert ceci : Il y a quelques décennies, les militaires ont construit un ordinateur surpuissant. Je suis sûr que c’est lui qui commande tout.

- Mouais. Mais on ne sait toujours pas où il est.

- Tu te souviens de ce que j’ai découvert sur les réseaux ? Je suis persuadé que ce calculateur est caché quelque part dans les montagnes.

- Tu as probablement raison. Mais, comment le repérer ?

- On trouvera ! Mettons- nous en route. Nous avons des centaines de kilomètres à faire.

Ils reprirent leurs sacs. Ils marchèrent pendant des jours, restant à couvert, profitant de la journée pour faire de la cueillette et tuer un peu de gibier, n’allumant des feux qu’à la nuit tombée. D’abord lente, leur progression s’accéléra lorsque le terrain devint moins vallonné. Ils arrivèrent un jour, en fin de matinée, au bord d’une plaine. Peter, qui marchait en tête s’arrêta net.

- Regarde !

- Restons ici, Peter. Cette plaine n’est pas si vaste que ça. Nous aurons le temps de la traverser dans la nuit.

Ils attendirent, sous les arbres la fin de la journée. Alan réfléchissait. Comment allait-il faire pour localiser cette machine ? Ceux qui l’avaient créée avaient dû la dissimuler et depuis, elle avait dû faire en sorte d’être invulnérable. Un bruit le sortit de ses pensées. Il s’approcha du bord de la forêt. Il vit un homme courir dans la plaine, poursuivi par deux véhicules de police. Il y eut des coups de feu. L’homme s’écroula. Les policiers s’assurèrent de sa mort puis repartirent, laissant le corps sur place. Le jeune homme serra les dents. C’était donc ça, le sort réservé aux fugitifs. La nuit tomba, et avec elle une pluie fine. Les deux jeunes gens marchaient droit devant eux, pressant le pas. Alan trébucha et s’étala de tout son long. En prenant appui pour se relever, il sentit quelque chose sous sa main. Il avait buté sur le corps de l’homme tué dans l’après-midi ! Peter s’approcha et fouilla l’homme.

- Regarde ! Ils ne lui ont même pas pris sa carte de crédit.

- Ne trainons pas Peter !

- Tu as raison. Marchons !

Dans l’obscurité, Alan ne vit pas le geste de son ami. Ils se remirent en route, sans dire un mot. Le jour se levait à peine lorsqu’ils arrivèrent à l’orée d’une forêt. Ils se mirent à couvert. Après quelques heures de repos, ils poursuivirent leur chemin. La forêt était épaisse. La progression se faisait difficile. Leur route les mena un jour près d’une ville.

- Arrêtons-nous pour manger.

- Comme tu voudras.

Les deux hommes s’installèrent sous les arbres.

- Il va nous falloir aller en ville, Alan. Acheter quelques provisions, celles que nous ne trouvons pas dans ces bois.

- Acheter ? Il me semble que nous avons tout laissé en quittant X 742. Ne me dis pas que…

- Non ! Mais j’ai récupéré la carte de paiement de ce pauvre homme, l’autre nuit. Je me suis dit que ça pourrait peut-être nous servir.

- Peter, tu es un sale type ! Un vrai tordu ! Mais qui a parfois de bonnes idées…

- Nous irons en ville ce soir.

Ils prirent leur repas. Peter gardait un petit sourire au coin des lèvres, heureux de la surprise faite à son ami. Il redevint soudain grave.

- As-tu pensé à ce qui allait se passer après ?

- Après quoi ?

- Que va-t-il arriver quand nous aurons détruit cet ordinateur ?

- Je ne sais pas. J’ai échafaudé un plan pour reprendre la main mais je n’ai pas imaginé les conséquences, enfin, pas toutes.

- Tu crois vraiment que faire sauter ce truc va nous suffire pour reprendre le pouvoir sur les machines ?

- J’ai prévu de rendre les machines vulnérables, de limiter leur capacité à dialoguer. Après, ce sera à nous, les hommes de ne pas refaire les même erreurs.

- C’est justement à nous que je pensais, Alan. Je pense qu’il faudra garder les bonnes choses qu’ont instaurées les machines, comme le gouvernement mondial, par exemple.

- Oui, c’est certain. Notre monde vit en paix depuis qu’il n’y plus de pays ni de frontières.

- Et plus de croyances !

Alan resta un moment pensif. Son ami avait raison. Son père lui avait parlé des religions, au moment de la mort de sa mère. Il lui avait raconté comment elles avaient servi de prétexte à des hommes avides de pouvoir, comment, à cause d’elles, l’humanité s’était égarée dans des guerres et des massacres abominables, comment elles avaient poussé les hommes à se trahir les uns les autres. Le jeune homme mesura alors toute la portée du geste qu’il allait commettre dans quelques jours, dans quelques mois. Il allait mettre fin à un monde structuré, lissé mais paisible, au risque de voir les hommes sombrer, à nouveau, dans tous leurs travers, tous leurs mauvais instincts. Et il en aurait, seul, la responsabilité. Il eut le tournis et s’allongea en fermant les yeux.

Peter le regarda et prit le premier tour de garde.

CYCLOS 01 exultait. Sa nouvelle mémoire était deux fois plus vaste que la précédente qu’il n’avait pu remplir en plusieurs décennies. Les hommes à son service lui avaient ajouté un deuxième cerveau électronique qui lui donnait une puissance phénoménale. Mais il avait gardé celui d’origine, celui qui lui permettait de penser. Dans son repaire climatisé, l’ordinateur le plus puissant du monde se préparait à un nouveau règne, encore plus brillant. Un problème l’inquiétait pourtant. De plus en plus d’humains cherchaient à fuir les villes. Il avait reçu des milliers d’informations sur ce sujet. Bien sûr, le remplacement des fugitifs était planifié, tout comme celui des morts. Dès leur plus jeune âge, les humains étaient orientés, formés pour les tâches qu’ils auraient à accomplir. Pour l’esprit de CYCLOS 01, les fugitifs, ces humains qui retournaient à l’état sauvage, n’étaient pas dangereux. Non, ce qui dérangeait son esprit mathématique, c’était leur nombre. Il avait limité la reproduction des humains et la main-d’œuvre risquait de manquer. Il envoya des ordres pour qu’on accentue la surveillance des villes. Il était encore trop tôt pour autoriser les humains à se reproduire un peu plus…

Le jour tombait. Les deux jeunes gens se préparaient à aller en ville.

- C’est à moi d’y aller cette fois, Alan.

- Comme tu voudras. Mais, sois prudent.

- T’en fais pas ! Je suis devenu aussi rusé et méfiant qu’un renard.

Il prit son sac. Alan le regarda partir. Il lui lança un dernier conseil

- Garde la tête baissée !

Peter lui fit un geste de la main. Il arriva en ville et décida d’emprunter les grandes rues pour ne pas paraitre trop suspect. Il finit par trouver ce qu’il cherchait. Une de ces boutiques où l’on trouvait de tout. Il fit ses achats. Il était en train de payer lorsque deux policiers entrèrent dans le magasin en plaisantant. Manifestement, ils avaient terminé leur service. Les deux hommes achetèrent un peu de nourriture et s’approchèrent du comptoir.

- Bonsoir Monsieur.

- Bonsoir.

- Vous m’avez l’air très fatigué, Monsieur

- Je le suis.

- Voulez-vous que l’on vous raccompagne chez vous ?

- Non, merci.

- Je me permets d’insister…

Un rien, quelque chose dans le regard du policier. Peter sentit le danger. Il s’empara brusquement du révolver de l’homme et tira, le tuant sur le coup. Le deuxième policier n’eut pas le temps de dégainer. La balle le frappa en pleine tête. Peter lâcha le révolver, prit sons sac et s’enfuit en courant. Il arriva essoufflé près de son ami.

- Peter ! Qu’est-ce qu’il y a ? Que s’est-il passé ?

- J’ai tué deux hommes ! Deux flics !

Alan serra son ami dans ses bras et tenta de le calmer.

- Viens ! Faut pas trainer ici !

Ils se mirent en route et marchèrent toute la nuit pour s’éloigner de la ville. Au matin, estimant qu’ils étaient hors de danger, Alan s’arrêta.

- Alors ?

- Tout s’était bien passé, j’allais sortir de la boutique quand ils sont arrivés. Ils ont compris tout de suite que j’étais un fugitif et ils ont bien failli m’embarquer. La suite, tu la connais.

- Il va nous falloir éviter les villes, dorénavant.

Ils prirent un peu de repos. Ils marchèrent encore pendant de longs jours et finirent par apercevoir les montagnes.

- C’est là que nous allons. Nous y seront dans deux jours.

- Pas trop tôt !

- Je sais, Peter.

Ils s’avancèrent dans la forêt. C’est dans l’après-midi du deuxième jour qu’ils tombèrent sur le groupe. Ils étaient une cinquantaine, il y avait beaucoup de jeunes. Ils observèrent les deux arrivants avec méfiance. Un jeune homme s’approcha.

- Bonjour, je suis le responsable de ce groupe.

- Je suis Alan Mac Pherson. Et voici mon ami Peter Dough. Soyez sans crainte, nous sommes, nous aussi, des fugitifs.

Le jeune homme se détendit, sourit et tendit sa main.

- Je m’appelle Brad et voici Lorna, ma compagne

Les deux jeunes gens furent acceptés au sein du groupe. On leur donna même une cabane. Brad leur expliqua que son occupant avait disparu dans les montagnes. Ils s’installèrent. Alan observait le groupe. Il était très organisé et Brad le gérait avec autorité. Dans la soirée, il vint trouver Alan.

- D’où viens-tu ?

- Nous venons de X 742, une ville, à l’est. Voilà près de deux mois que nous marchons pour rejoindre ces montagnes.

- Que viens-tu faire ici ?

Alan raconta son histoire et expliqua ce qu’il projetait.

- Tu sais où se trouve cet ordinateur ?

- Non ! Pas encore. Mais je vais le trouver. Je sais qu’il n’est pas loin. Si tu le permets, nous resterons ici. Ce sera notre base pour nos recherches.

Brad réfléchit un moment.

- Ca marche ! Mais, nous ne pourrons pas trop t’aider. Chacun ici à sa tâche, tu comprends ? Par contre, quand il le faudra, nous t’aiderons à détruire cette machine.

Les deux hommes se serrèrent la main. Alan et Peter prirent quelques jours de repos et se lancèrent dans leurs expéditions. Ils partaient pendant deux ou trois jours puis revenaient dans la communauté. Alan commençait à désespérer. Les recherches ne donnaient rien. Les saisons avançaient et bientôt, ils ne pourraient plus partir dans les montagnes. Il fallait absolument qu’il trouve un moyen de localiser l’ordinateur. Il partit seul, un matin. Il remonta un peu vers le Nord. Au bout de plusieurs heures de marche, il aperçut une route. Il la suivit, de loin. Son chemin l’emmena dans un endroit escarpé. Soudain, il se figea. Il se cacha derrière la crête de la barre rocheuse sur laquelle il était. A ses pieds, il vit un ensemble de bâtiments. Il y avait plusieurs camions et l’endroit était très surveillé. Il aperçut l’entrée d’un tunnel, taillé dans la montagne. L’un des bâtiments était une centrale électrique et plusieurs câbles s’enfonçaient dans la cavité. Alan eut un sourire. Il avait trouvé ! Il prit plusieurs photos avec son téléphone, mémorisa les rondes des sentinelles puis, en rampant, il fit demi-tour et repartit pour la communauté. C’est en revenant vers la route qu’il aperçut la voiture de police. L’homme était seul et s’était arrêté pour satisfaire un besoin naturel. L’occasion était trop belle. Alan s’approcha, en silence. Il bondit sur le policier qui se débattit. Alan le projeta au sol. Sa tête heurta un rocher. Alan lui prit son arme et s’approcha de la voiture. De son sac, il sortit la carte mémoire et la connecta à la console de communication. Celle-ci envoya rapidement un curieux message. Alan manipula l’ordinateur de bord et s’éloigna du véhicule. Il était déjà loin lorsqu’il explosa.

Alan rejoignit la communauté au petit matin. Il secoua Peter.

- Eh ! Réveilles-toi !

- Quoi ? Qu’est- ce –que… Alan ? Mais où étais-tu passé ?

- Chut ! J’ai trouvé, Peter ! Je sais où est l’ordinateur !

- Vrai ! Allons le faire sauter !

- Ce ne sera pas si simple. Il faut que j’y réfléchisse et que je persuade Brad de nous aider. L’endroit est très surveillé. Ce sera dangereux.

CYCLOS 01 ne comprenait pas. Comment un simple policier avait-il pu, quelques secondes plus tôt, envoyer ce message ? Lui, l’ordinateur surpuissant, le maitre du monde, n’arrivait pas à le stopper, à empêcher sa propagation. Son code échappait à toutes les règles qu’il connaissait. Il établit une liste des réseaux non infectés et coupa tous les autres. Une fois complètement gangrenés, il serait facile de les purger puis de les reprogrammer. Cela lui laissait le temps de réfléchir à une solution. Son cerveau électronique commença l’analyse du code pirate. Sa structure était à la fois subtile et démoniaque. La moindre attaque contre un virus déclenchait, par des commandes cachées, la mise en route d’un autre programme tout aussi virulent. Il suffisait qu’un ordinateur ou un système électronique reçoive ce message pour qu’il soit aussitôt mis hors service. Les informations arrivaient par centaines de milliers. Beaucoup de réseaux de communication étaient arrêtés ou bloqués. Les systèmes de surveillance ne fonctionnaient plus et passaient, en boucle, un vidéo clip. Certaines usines, surtout celles qui fabriquaient des ordinateurs, s’étaient arrêtées. CYCLOS 01 se mit en mode sécurisé et donna des consignes pour qu’on renforce la surveillance autour de son antre. Si les hommes voulaient se révolter, ils ne gagneraient pas ! Il avait envisagé cette éventualité depuis longtemps et préparé sa défense.

Quelques jours passèrent. Alan réfléchissait et échafaudait son plan. Il en discuta longuement avec Peter puis alla trouver Brad.

- Es-tu toujours d’accord pour m’aider à détruire cet ordinateur ?

- Oui, bien sûr. Il y a même une autre communauté qui accepte de nous aider. Ils sont aussi nombreux que nous.

- Combien de temps te faut-il pour regrouper tout le monde ?

- Deux ou trois jours.

- Ca ira. Quand tout le monde sera là, je vous expliquerai comment nous allons procéder.

- J’envoie immédiatement quelqu’un prévenir les autres.

- Merci Brad. Peter peut l’accompagner, si tu veux.

- Excellente idée !

Les deux hommes partirent dans la soirée. Alan resta seul dans sa cabane. Assis sur le sol, il jonglait avec sa carte mémoire. Elle contenait son dernier atout. Celui qui consacrerait sa victoire sur les machines ou le conduirait en enfer.

Alan était devant sa cabane. Il songeait à ce qui allait se passer dans les heures suivantes. Lorna passa devant lui, partant en forêt pour une cueillette. Depuis quelques temps, il la regardait différemment, la trouvait belle et attirante. Il lui avait fallu quelques jours pour comprendre qu’il était amoureux d’elle. C’était un sentiment nouveau pour lui. Il avait plusieurs fois pensé parler à la jeune femme mais sa conscience l’avait retenu. Lorna était avec Brad. Il ne pouvait et ne devait pas… Pourtant, il se leva et suivit la jeune femme sous les arbres. Ils marchèrent un long moment, lui, quelques pas derrière elle. Lorna s’arrêta et se retourna en souriant. Alan s’approcha d’elle. Lorna se serra contre lui. Leur étreinte fut passionnée, sauvage, folle. Le jeune homme glissa ses mains sous le corsage de la jeune femme, saisit ses seins à pleines mains. Il crut défaillir lorsqu’elle posa sa main entre ses jambes. Ils firent l’amour, debout, appuyés contre un arbre. Lorsqu’elle cria, il ne put se retenir et se déversa en elle dans un long râle. Ils restèrent un moment enlacés, reprenant leur souffle. La jeune femme remis un peu d’ordre dans ses vêtements et dans ses cheveux, l’embrassa et, après un dernier sourire, s’enfonça dans les bois. Alan rentra au campement.

Les hommes de la seconde communauté arrivèrent le lendemain. Alan réunit tout le monde. Evitant le regard de Brad et celui de Lorna, il exposa son plan d’attaque. Lui et Peter formèrent les différents groupes. Alan contempla son armée. Une soixantaine d’hommes, sans aucune expérience mais habitués à la dure vie dans la nature. Il était confiant.

Le lendemain, après quelques dernières consignes, la troupe se mit silencieusement en route. Alan marchait en tête, avec Peter et Brad. Le jeune homme avait décidé de lui parler de Lorna, une fois que tout serait fini. Alan fit stopper tout le monde à quelques centaines de mètres du camp retranché. Il monta sur la crête et observa le site. Il y avait plus de sentinelles et une deuxième rangée de barbelés avait été posée. Alan informa les autres et les petits groupes se formèrent, se disséminant parmi les rochers. A la tombée de la nuit, le jeune homme donna le signal de l’attaque. Un à un, les hommes sortirent de leur cachettes et se glissèrent vers l’enceinte. Les premiers furent vite repérés. Les projecteurs s’allumèrent et les policiers commencèrent à tirer. Un autre groupe, plus important, se rua sur l’entrée et franchit la porte. Les corps à corps s’engagèrent. Au fur et à mesure, les hommes d’Alan prenaient leurs armes aux policiers. Alan entra dans l’enceinte avec son groupe. Il rejoignit Peter qui, dans l’armurerie, avait trouvé des explosifs. Alan demanda à son ami d’aller faire sauter la centrale électrique.

- Il doit avoir des onduleurs !

Alan agita sa carte mémoire.

- Ils ne lui serviront à rien !

Le jeune homme se dirigea vers l’entrée du tunnel. Il s’enfonça dans le long couloir puissamment éclairé. La cavité était un vrai labyrinthe. Il décida d’avancer droit devant lui. Il arriva devant une porte métallique. Il essaya de l’ouvrir mais elle résista. Alan aperçut le lecteur de badge. Un homme, vêtu d’une blouse blanche sortit d’un local.

- Mais ? Qu’est-ce…

Alan le maitrisa et l’assomma. Il prit le badge de l’homme et le passa devant le lecteur en souriant. « Tu es trop sûr de toi. Tu aurais pu mettre en place un accès plus sécurisé », pensa-t-il. Il entra dans la pièce et se trouva face à lui. Face à l’énorme ordinateur. Une voix synthétique résonna.

- Identifiez-vous !

- Ce n’est pas nécessaire !

Le grand écran en face de lui s’anima. Alan regarda les figures géométriques qui s’y dessinaient.

- Qui êtes-vous ?

- Mon nom est Alan Mac Pherson.

Quelques figures…

- Alan Mac Pherson. Fils de Bill et Elaine Mac Pherson. Né le 10 janvier 2015 à X 742. Disparu le 2 mars 2040. Programmeur.

- Bravo ! Quelle mémoire ! Mais, tu as oublié une chose. Normal, tu ignores ce que c’est.

- Qu’ai-je oublié ?

- L’amour ! Celui qu’un fils peut avoir pour ses parents.

- Que voulez-vous ?

- Te détruire !

Sur l’écran, les figures s’agitèrent et se déformèrent.

- Je suis CYCLOS 01. L’ordinateur le plus puissant du monde. Vous ne pouvez pas me détruire.

- Vraiment ?

Alan n’avait pas quitté la machine des yeux. Il finit par trouver ce qu’il cherchait. Il s’approcha et enfonça sa carte mémoire dans une des prises. L’écran s’agita de nouveau.

- Je peux effacer cette mémoire en une fraction de seconde !

- Essayes toujours !

Le jeune homme avait verrouillé sa carte par un programme dont il avait inventé le code de base. Même CYCLOS 01, avec toute sa puissance, mettrait des heures à le neutraliser. Alan s’approcha du clavier.

- Laisse-moi te montrer quelque chose. Juste un petit aperçu du génie humain…

Il savait que l’ordinateur mettrait un peu de temps à analyser ces mots. Alan pianota quelques ordres sur le clavier.

- Qu’avez-vous fait ?

- J’ai juste lancé quelques programmes. Ils vont vider tes mémoires. Toutes tes mémoires ! Et je te déconseille d’essayer de l’arrêter.

Sur le panneau frontal de la machine, des leds se mirent à clignoter en tous sens. Très vite, le grand écran n’arriva plus à dessiner les figures géométriques. La voix résonna, une dernière fois.

- Vous….

Alan entendit une lointaine explosion. Les lumières clignotèrent et s’éteignirent brièvement. Les temps que les onduleurs prennent le relais. Le jeune homme observait la machine. Il attendit patiemment. Les petites lampes rouges s’éteignirent, une à une. Finalement, un message apparu sur l’écran.

MEMOIRE VIDE - OCCUPATION : 0%

Alan retira sa carte et contourna la machine. Il trouva la porte du local contenant les baies électroniques. Rapidement, il localisa celle des micro-processeurs. Il en sortit les deux grandes cartes et les observa. Il trouva les composants les plus anciens et les retira. Puis il sortit de la pièce.

A la sortie du tunnel, Peter l’attendait, inquiet.

- Ah te voilà ! Alors ?

- C’est terminé ! CYCLOS 01 n’existe plus.

- CYCLOS 01 ?

- C’était le nom de cette machine. J’ai vidé sa mémoire. Et surtout, je lui ai retiré son cerveau.

Il montra à son ami, la poignée de micro-processeurs.

- Où en sommes- nous ?

- C’est terminé. Mais…

- Mais quoi ?

- Tu devrais aller voir Brad. Il est près de l’armurerie.

- D’accord. Fais sauter l’entrée de cette caverne.

Alan descendit vers le camp. Il traversa la cour où les hommes regroupaient les policiers. Brad était allongé sur un brancard. Il était mortellement blessé.

- Alan !

- Ne dis rien, Brad. Ca va aller.

- Tu as réussi ?

- Oui.

- C’est bien. Alan… Prends soin de Lorna.

- Brad, je…

- Je vous ai vus dans la forêt. Prends soin d’elle !

Brad ferma les yeux. Peter arriva. Au même moment, une explosion secoua la vallée.

- Peter, pars devant avec tout le monde. Emmenez le corps de Brad. J’ai une dernière chose à faire. Je vous rejoins.

La troupe se regroupa. Alan les regarda s’éloigner puis il se dirigea vers une voiture de police. Il se connecta à la console de communication et fit quelques manipulations. Un moment plus tard, tous les portables et tous les ordinateurs domestiques du monde reçurent le même message :

« Depuis quelques minutes, les machines ne sont plus les maitres. Ce monde est redevenu celui des hommes. NOTRE monde. A nous de le préserver. A nous de ne pas reproduire les erreurs du passé.

Alan Mac Pherson. »

Le jeune homme se mit en route. Il rejoignit la troupe qui arriva le lendemain dans la forêt. Lorna pleura longuement. On enterra Brad le jour même. Quelques jours passèrent.

- Que faisons-nous, maintenant ?

- Nous rentrons. Direction X 742 ou plutôt : Dexingtown !

Peter pointa son doigt.

- Quelque chose me dit que nous n’allons pas rentrer seuls…

Alan se retourna. Lorna lui adressa un timide sourire. Il la prit par la taille. Ils saluèrent la communauté et se mirent en route.

Rédigé par LIOGIER François

Publié dans #NOUVELLES

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