NOUVELLE: LE DERNIER COMBAT

Publié le 23 Mai 2013

20 Juillet 1943

L’alarme a sonné il y a quelques minutes. Le colonel Mac Birdey, notre squadron leader, un écossais tout en moustache et en accent, nous fait un bref topo. Des avions boches, une douzaine, se sont pointés au-dessus de la Manche, nous devons les arrêter. En grimpant dans mon avion, je m’attarde un peu sur les vingt- quatre croix gammées peintes sous le cockpit. Elles sont ma fierté, ces croix noires, la trace de mon engagement dans les forces françaises libres, dans cette bataille pour rendre sa liberté à mon pays et au monde. Vingt- quatre victoires, vingt-quatre duels gagnés en plein ciel, vingt-quatre morts aussi. De jeunes hommes, sûrement pas plus âgés que moi. Des jeunes hommes qui, comme moi, devaient rêver d’autre chose que cette guerre pour vivre leur jeunesse. Des ennemis, certes. Mais aussi des hommes courageux qui ont vendu chèrement leur peau et que je respecte. Paix à leurs âmes.

Je m’installe sur mon siège. Laissant mon mécano me sangler et faire les dernières vérifications sur l’avion. Je repense à tout ce qui s’est passé durant ces trois dernières années, à ce qui m’a amené ici, sur ce terrain d’aviation du Suffolk.

Les avions m’ont toujours fasciné. Adolescent, je trainais souvent sur l’aérodrome de la Ferté-Alais, tout près de chez mes parents. Il y avait encore quelques « Spad » qui volaient, des Caudron et surtout des Dewoitine. C’étaient eux que je trouvais les plus beaux, les plus élégants, les plus racés. C’était là, qu’un jour, un pilote qui m’avait remarqué, m’avait fait faire mon premier vol. Il m’avait appris à piloter. Moi le petit paysan qui savait tout juste lire et compter, j’avais fini par décrocher mon brevet. C’était en avril 1940.

Et puis il y eut ce déluge de feu, ce vacarme étourdissant, tous ces gens jetés sur les routes qui s’arrêtaient dans notre ferme pour quémander un peu de lait pour leurs enfants, ces soldats vert- de –gris qui s’installaient partout, qui pillaient tout, qui massacraient tous ceux qui, comme mon ami pilote, s’opposaient à eux et à leur loi. Il y eut ce vieux maréchal qui nous a fit croire qu’il nous sauverait mais qui baissa les armes et nous vendit à l’ennemi. J’avais vingt ans. Cette guerre si rapide, cette blitzkrieg ne m’avait pas laissé le temps de me battre. J’en éprouvais de la rancœur, et une haine farouche des boches, attisée par mon impuissance et l’inaction. Puis, un soir de Juin, il y eut cette voix, profonde, envoûtante qui résonnait dans la radio de Londres. Cette voix qui nous disait que tout n’était pas perdu, qu’il fallait relever la tête, qu’il fallait se battre, celle de ce général alors inconnu qui nous demandait de le rejoindre. J’en parlai longuement avec mes parents ce soir- là. Quelques jours plus tard, j’étais à La Rochelle et j’embarquais sur un chalutier qui me laissa à Portsmouth. Quelques heures de train plus tard, j’étais à Londres, dans le hall d’entrée de l’immeuble de la délégation française et c’est là que je le vis, pour la première fois, lui, le grand homme. Je me souviens de m’être mis au garde-à-vous, instinctivement.

- Mon général, me voici, prêt à me battre à vos côtés !

Il aurait pu m’ignorer, ne pas voir ce petit paysan perdu au milieu de cet immense hall, son petit baluchon posé à ses, pieds. Mais il s’arrêta et plongea dans mes yeux ce regard pénétrant, à la fois dur, intraitable et plein de bonté.

- Comment vous appelez-vous jeune homme et d’où venez- vous ?

- Je m’appelle Guy Lafosse. Je viens de la Ferté-Alais.

- Que savez-vous faire, jeune homme ? Savez-vous vous battre au moins ?

- Je ne me suis jamais battu mon général, mais je veux le faire pour mon pays. Et je sais piloter !

- Vous êtes breveté ?

- Oui, mon général.

Le grand homme s’était retourné vers son aide de camp, lui avait chuchoté deux ou trois mots. Quinze jours plus tard, j’avais intégré un camp d’entrainement de la Royal Air Force. Durant les mois qui suivirent j’avais suivi la formation de pilote de chasse, m’exerçant au combat aérien, au bombardement, au vol de nuit, à la lecture des cartes, au saut en parachute. On nous apprit quelques techniques d’évasion, au cas où… Puis on m’avait affecté à la 114ème escadre de chasse. J’avais participé à la fin de la bataille d’Angleterre avant que mon escadre ne soit envoyée en Afrique. C’est là, dans le ciel égyptien que j’avais remporté mes premières victoires, gagné mes galons de capitaine, que notre escadron de mercenaires français avait reçu les félicitations de « Monty » Montgomery avant de revenir en Angleterre, ici, dans le Suffolk avec pour mission d’assurer la surveillance de la Manche. A notre retour, le grand homme nous avait rendu visite. Je l’avais trouvé vieilli, fatigué, courbé sous le poids de cette guerre qui n’en finissait pas et de ses responsabilités. J’avais changé, moi aussi. Lors de la petite réception donnée en notre honneur, je l’avais croisé. De nouveau, son regard si intense m’avait pénétré. J’avais salué, le même garde-à-vous un peu gauche que trois ans plus tôt.

- Capitaine Lafosse, mes devoirs, mon général.

- Lafosse… Oui, je me souviens de vous. Vous êtes ce jeune homme de la Ferté-Alais, n’est-ce pas ?

- C’est exact mon général. Je vous remercie de cette affectation dont…

- Ne me remerciez pas, capitaine ! C’était de la stratégie. Je n’ai fait que vous envoyer là où vous étiez le plus utile pour porter des coups à l’adversaire. A ce qu’on m’a dit, je ne me suis pas trompé. Votre chef d’escadrille ne tarit pas d’éloges sur vous.

- Je sers mon pays, mon général. Rien de plus.

- Alors continuez capitaine. Et soyez fier de ce que vous faites pour la France.

Des coups sur les flancs de l’avion. Mon mécano me fait signe que tout est prêt. Contact, démarreur. Mon Spitfire s’ébroue puis le moteur Rolls Royce s’élance. Je le fais monter doucement dans les tours. Pouce levé, je suis paré. Mon mécano retire les cales et me voilà roulant sur l’herbe grasse, passant en revue les avions du deuxième groupe de chasse qui démarrent chacun leur tour. Ils nous retrouveront au-dessus de la mer. Je rejoins le leader de mon groupe sur la piste. Pierre est un pilote hors pair, un chef exemplaire, humain. Affable, bon vivant, il n’est jamais le dernier à payer sa tournée de bière. Mais, une fois aux commandes de son avion, il devient un autre homme, un chasseur redoutable, un tueur sans pitié qui envoie en enfer tout ce qui porte une croix noire sur ses flancs. Un signe de la main, nous décollons côte à côte, suivis par les quatre autres avions du groupe. Un virage à gauche, suivant le cap donné par le commandement, nous fonçons vers la mer.

Voilà deux ans que je vole et que je combats avec lui, mon avion, mon fidèle Spitfire. C’est un avion merveilleux, simple, agile, parfois un peu rétif. Un animal sauvage auquel il faut s’habituer, qu’il faut savoir amadouer. Mais une fois qu’on l’a dompté, une fois que l’on fait corps avec lui, c’est une machine de guerre redoutable. Au combat, nous ne faisons plus qu’un. Je suis ses yeux, son esprit. Il est mon armure, le bras vengeur avec lequel je frappe sans relâche la bête noire du nazisme. Chacune de nos victoires est un pas de plus vers la liberté, vers mon pays qui me manque tant, vers mes parents dont je n’ai plus de nouvelles, vers mon amie, Sarah, aussi blonde que les blés…

Nous arrivons vite au-dessus des côtes. Cette ligne blanche, là-bas à l’horizon, ce sont celles de France. Des bruits courent en Angleterre. Dans quelques semaines, dans quelques mois, nous allons y débarquer avec l’aide des américains. Déjà, ils sont arrivés en Sicile et il parait que les russes mettent le paquet à l’est. Cette foutue guerre sera bientôt finie. En attendant, il faut se battre et nous passons en formation de combat. Chacun d’entre nous scrute le ciel. Mais où sont donc passés ces satanés boches ?

Pour éviter de nous faire repérer à la radio, je m’approche de l’avion de Pierre. Je lui fais signe que je vais monter un peu, au- dessus de notre formation. Il acquiesce d’un pouce levé. Je décroche du groupe et monte doucement vers les nuages. Le soleil se fait plus rasant, moins aveuglant. Je les aperçois enfin. Six Focke Wulf en formation serrée.

- Rouge2 à rouge1. Six loups à deux heures, dans le soleil, juste au-dessus de vous.

- Ok, rouge2. Je les aperçois maintenant. On va leur rendre une petite visite.

- Bien reçu. Je vous rejoins.

Je repense soudain que le squadron leader nous a parlé de douze avions. Où sont les autres ? Je me contorsionne sur mon siège pour observer le ciel. Les voilà ! Ces salauds s’étaient cachés derrière un nuage.

- Rouge2 à rouge1. Six Messerchmitt derrière vous, à six heures ! Je les engage !

- Non, rouge2 ! Attendez l’autre groupe !

Tu parles ! L’occasion est trop belle. Je fais ce que Pierre aurait fait à ma place. J’ignore son ordre. Comme je suis juste en dessous d’eux, les allemands ne m’ont pas vu. Je les laisse passer devant moi et monte à leur altitude, bien conscient que ce que je suis en train de faire est de la folie pure. Si contre les Focke Wulf, qui sont lourds et peu agiles, le Spitfire a toutes ses chances, contre des Messerchmitt 109, ce n’est pas la même histoire. Me voilà juste derrière le dernier du groupe. Je monte encore un peu puis fait piquer le nez de mon avion. Le miaulement de mon canon Bofort et juste après le crépitement des mitrailleuses. Le pilote allemand, surpris, n’a pas le temps de réagir. Je continue à tirer, comme à l’exercice. Je vois une trainée d’huile le long de son fuselage. Il part soudain en vrille et tombe comme une pierre. Vingt-cinq ! Mais, je n’ai pas le temps de crier victoire. Les autres pilotes ont compris qu’ils étaient attaqués et se séparent. Je choisis de suivre l’avion juste devant moi. Je l’aligne dans mon viseur. De nouveau le canon rugit et crache ses obus dévastateurs. La verrière du Messerchmitt explose. Il plonge puis se transforme en boule de feu. Pas le temps de compter vingt-six. Une rafale de mitrailleuse balaye mon aile droite. Un de ces salauds est passé derrière moi. Je pousse la manette des gaz et tire le manche. Il faut que je monte pour passer au-dessus de lui. Mais je n’ai pas affaire à un débutant. Il me suit dans ma manœuvre, continuant à me mitrailler. J’enchaine les virages serrés, les cabrés, les piqués. Tout va à une vitesse folle mais, rien à faire, je n’arrive pas à le lâcher. Je tente une dernière manœuvre. S’il me suit, il est mort. Une nouvelle rafale frappe mon « Spit » en plein virage. Les balles ravagent mon fuselage. L’une d’elles vient se ficher dans ma cuisse droite. Un obus vient frapper mon capot moteur. Mon avion semble hésiter une seconde. Je sens le manche s’agiter dans mes mains. Vite ! Réagir avant que la vrille ne s’amorce ! Je tente de toute mes forces de maitriser les mouvements du manche et, malgré la douleur me met à jouer du palonnier, un coup à droite, un coup à gauche. Mon bon vieux Spitfire se redresse, reprend sa ligne, il était temps. Je jette un coup d’œil à ma cuisse. Je saigne, abondamment. Je dénoue le foulard que je porte autour du cou et entreprends de faire un garrot. Un coup d’œil dans mon parebrise. L’allemand est là. Face à moi. Il a décidé de m’achever. Je m’attends à recevoir sa rafale en pleine figure quand soudain, le Messerchmitt se met à trembler avant d’éclater en morceaux

- Rouge2, ici jaune 1. Vous êtes blessé, vieux ?

- Oui, jaune1. Oui, je suis blessé. A la jambe. Et mon avion a souffert.

- Le ciel est clair. On vous escorte jusqu’à la base.

- Ok. Merci.

Nous prenons la route du Suffolk. Pierre nous rejoint et vient se placer tout près de moi.

- Ca va le héros ?

- Ca va aller Pierre. T’as vu ! J’en ai eu deux de ces salopards !

- Ouais, bien joué ! Deux petites croix de plus à peindre sur ton zinc. Mais, rappelle-moi de te botter le cul à notre arrivée, pour t’apprendre à respecter mes ordres.

- Tant que tu voudras Pierre. Ce soir, c’est moi qui paie les bières.

- T’as intérêt !

Mon moteur se met soudain à toussoter puis se cale au ralenti. Impossible de remettre des gaz. Oh bien sûr, je peux faire comme ça les derniers kilomètres qui me séparent de la piste. Ce qui m’inquiète le plus, c’est la fumée qui sort maintenant derrière le tableau de bord. Une fumée noire, qui sent la cordite et qui s’épaissit rapidement. L’obus a dû toucher le système électrique. J’aperçois la piste. Je décide de me débarrasser de ma verrière. Je suis trop bas pour sauter, mon parachute n’aurait pas le temps de s’ouvrir mais, au moins, je sortirai plus vite de ce piège qu’est devenu mon avion. Me voilà aligné sur la bande de béton vers laquelle je descends à toute vitesse. Quelques flammes apparaissent autour de mes instruments. Mon moteur tousse une dernière fois et s’arrête. S’il est un bon avion, le Spitfire a un défaut : L’étroitesse de son train d’atterrissage qui le rend difficile à manier lorsqu’il touche le sol. Avec ma jambe blessée, la fumée qui me gêne, je me rate. L’avion part en travers, pique du nez, se dresse presque à la verticale. L’essence coule au sol et s’embrase. Je suis pris dans la fournaise. J'entends une sirène, le souffle des extincteurs. J’essaie de défaire mon harnais sans me rendre compte que mon gant gauche a pris feu. Le temps semble s’arrêter, ou passer très lentement. Je revois une ferme, là-bas, du côté de la Ferté-Alais. J’aperçois ma mère qui me sourit, une jeune fille… Je sombre dans une demi-inconscience. Des voix…

- Sortez-le de là, vite !

On m’emporte. Le brouillard s’épaissit devant mes yeux. Des silhouettes blanches, d’autres voix…

- Vous croyez qu’il va s’en sortir docteur ?

- Oui, Mademoiselle. Changez les pansements de sa main toutes les six heures. Je reviendrai pour le premier changement et donnez- lui de la morphine.

Je reprends peu à peu mes esprits. Je suis à l’hôpital. Ma main gauche est recouverte d’un épais pansement mais je sens bien que quelque chose ne va pas. Le médecin revient, accompagné de l’infirmière.

- Vous voilà réveillé mon capitaine.

- Oui docteur. Dites-moi tout.

- Bien, j’ai extrait la balle de votre cuisse et recousu la plaie. Vous avez perdu beaucoup de sang. Mais, quinze jours de repos et de cicatrisation et tout ira bien.

- Et ma main, docteur ?

Il se racle la gorge, visiblement gêné.

- J’ai fait ce que j’ai pu. Mais vos brûlures étaient trop graves et vos doigts trop abimés.

- Combien ? Combien en avez-vous coupés, docteur ?

Il baisse les yeux.

- Trois. Je suis désolé mon capitaine.

- Trois doigts de moins ! Ce qui veut dire que cette main ne me servira plus à rien, que je ne pourrai plus piloter.

- Je suis navré.

- Ne soyez pas navré, docteur. Je suis un soldat, je ferai face. Mais vous, faites votre boulot et remettez-moi sur pied, au plus vite.

- Oui, mon capitaine.

Il aide l’infirmière à faire mon pansement. J’ai juste le temps d’apercevoir ma main amputée. Trois doigts qui manquent, ça fait un sacré trou. Je me mets à pleurer. Tout ce qui a fait ma vie ces trois dernières années s’écroule. Plus d’avion désormais. Plus de duels en plein ciel et ces étoiles noires peintes sur les flancs de mon cockpit, ces croix dont j’étais si fier me paraissent bien dérisoires à présent.

Quelques jours plus tard, Mac Birdey et Pierre me rendent visite.

- Comment vas- tu mon vieux ?

- Ca va. Ma main me fait souffrir.

- Vous allez vite aller mieux, vous verrez. Et vous aurez toujours votre place à la 114ème. Au fait, j’ai validé personnellement vos deux dernières victoires, mon ami.

- Merci mon colonel. Mais vous savez, c’étaient les dernières. Je ne pourrai plus jamais piloter un avion.

Ma voix se couvre de sanglots. Pierre pose sa main sur mon épaule. Mac Birdey sort alors de sous sa veste, une bouteille de whisky.

- Allons, allons, capitaine. Ne vous laissez pas aller. Vous êtes un soldat, que diable ! En attendant nous allons, comment dites- vous, vous les français, arroser vos deux victoires.

C’est à ce moment- là que l’infirmière entre dans la chambre.

- Mon colonel ! Que faites-vous avec cette bouteille ? C’est interdit…

- Silence Mademoiselle ! Trouvez-nous plutôt des verres.

Nous trinquons, chaleureusement. En me servant un deuxième verre, Mac Birdey me lance un clin d’œil avant de glisser la bouteille sous mon oreiller.

- Le whisky est le meilleur de tous les médicaments, capitaine.

Après leur départ, je me jure de reprendre, un jour, les commandes d’un avion.

Les jours passent. Les douleurs dans ma main s’estompent peu à peu mais j’ai encore besoin de morphine. Je peux toutefois me lever, m’asseoir dans un fauteuil, lire et écrire le récit de ma vie d’aviateur dans les forces françaises libres. Peut-être en ferai-je un livre. Puis, un jour, je reçois cette lettre, venue de Londres :

Mon cher camarade,

Je prends connaissance de votre mésaventure et de ses conséquences. Par votre courage et votre dévouement, vous avez fait honneur à votre métier de soldat, à votre patrie, à la France. Pour demain, pour dans quelques mois, de grandes heures se préparent pour notre pays et vous ne pouvez pas ne pas y participer. Aussi ai-je décidé, en accord avec votre commandement, de vous donner un poste dans mon cabinet militaire.

J’ai besoin de vous, la France a besoin de vous, Commandant Lafosse. Rétablissez-vous vite

Pour la France

Charles de Gaulle.

Quelques mois plus tard, je prends mon poste à Carlton House. Le grand homme passe me voir dans mon bureau en fin d’après- midi. Son regard est toujours aussi puissant. Il s’enquiert de ma santé, me demande si je suis bien installé, m’explique brièvement mais clairement ce qu’il attend de moi. Dans les mois qui vont suivre, je vais le voir affirmer sa force, subtiliser, avec une roublardise sans égale, le pouvoir à Giraud, mystifier Roosevelt et Churchill pour assurer la souveraineté de notre pays et leur imposer la présence de la France lors du débarquement. Après, ce sera la Normandie, puis Paris…

12 Août 1985

La guerre est finie depuis bien longtemps. En 1945, je suis rentré à la Ferté- Alais, juste après l’armistice. J’ai appris que Sarah avait été arrêtée avec ses parents, par la gestapo. Personne ne savait ce qu’ils étaient devenus. J’ai toujours suivi le général, plus par admiration pour l’homme que par conviction politique. Notre amitié, née un matin de 1940, dans le grand hall de Carlton House ne s’est jamais démentie et j’eut plusieurs fois l’honneur d’être invité et reçu à La Boisserie, à Colombey. Aujourd’hui encore, je peux m’enorgueillir d’avoir cette amitié et la confiance de cet homme immense, dans tous les sens du terme. Mon livre de souvenirs, enfin écrit, s’est bien vendu. Je vis désormais paisiblement auprès de celle que j’ai épousée en 1947. Je n’ai pas le sentiment d’être un héros. Je ne le suis, en tout cas, pas plus que tous ceux qui, en France et en Angleterre, partout dans le monde, se sont battus contre cette barbarie. Ma fierté est dans le regard et le sourire de ces enfants auxquels je vais parler dans les écoles, dans les yeux émerveillés de mon petit-fils lorsque je lui raconte mes combats ou que je lui montre les photographies de mon avion.

Non, finalement, personne n’a à être fier d’avoir participé à cette horreur. Si je le suis aujourd’hui c’est pour une toute autre raison. Je suis là, sur le parking de l’aérodrome de la Ferté-Alais. Devant moi, il y a un petit avion de tourisme, un Morane- Saulnier. Je m’installe aux commandes. Un frisson me parcourt l’échine au moment de mettre le contact. Installé à mes côtés, mon fils referme le toit coulissant. Je lâche les freins. L’avion se met à rouler. Je fais un signe de la main à mon épouse. Un signe de cette main meurtrie, amputée. Un signe de victoire. Je suis redevenu pilote.

Après des année de lutte, je viens de remporter mon dernier combat.

Rédigé par LIOGIER François

Publié dans #NOUVELLES

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