Nouvelle: L'empoisonneur du Louvre

Publié le 15 Novembre 2012

Le vicomte Jean de Brulhois posa son atlas sur la table et traversa son bureau jusqu’au balcon sur lequel il s’installa. C’était jour de foire à Nérac et une foule bigarrée se pressait dans toutes les rues jusqu’à la place du château. Tout ce que la région comptait de maquignons, de colporteurs, d’acrobates et de musiciens s’était donné rendez-vous là. Il faisait beau, un grand soleil de printemps brillait sur la ville, éclairant même les carrerots. De partout montaient des odeurs, celles du bétail, celles des fruits, des odeurs de viande grillée, des parfums. Toutes se mêlaient, se mélangeait aux couleurs dans une grande symphonie populaire et joyeuse. Sous les chapeaux, le vicomte reconnaissait là, un fermier, là une repasseuse. Certains le saluaient en ôtant leurs chapeaux ou d’un tonitruant « Bonjour Monsieur Jean »

Car Monsieur le Vicomte de Brulhois n’était pas un noble comme les autres. Certes, sa famille possédait beaucoup de terres autour de Nérac et des vignobles dans l’Armagnac tout proche et on la disait très proche de celle d’Albret qui régnait sur la région. Certes, il était noble et riche mais il avait peu à peu abandonné le château familial pour sa maison au cœur de Nérac où il vivait entre deux voyages à l’étranger.

Il était un homme à part, savant autodidacte et expert en chimie mais il maitrisait tout autant la littérature, les mathématiques et la géographie. Il avait beaucoup voyagé en Europe mais aussi en Afrique et jusqu’aux Amériques. Il était un humaniste et se sentait beaucoup plus proche des petites gens que de la noblesse de province, vestige de la cour de Navarre, qui l’entourait.

Il observait avec attention la discussion entre un maquignon et un fermier au sujet d’une paire de bœufs lorsque Mariette, sa bonne, fit irruption dans la pièce

- Monsieur, il y a là un homme qui dit venir vous apporter un message du roi et qui ne veut parler qu’à vous

- J’arrive Mariette.

Il descendit les escaliers jusqu’à l’entrée de la maison. Devant la porte se tenait un homme vêtu de noir et un carrosse attendait dans la cour. L’homme lui tendit une lettre

- Monsieur de Brulhois ?

- C’est moi. Et à qui ai-je l’honneur ?

- Je suis le marquis Ferdinand de Mortefonds. Je suis chargé par le roi de vous remettre ceci.

De Brulhois s’empara de la lettre, vérifia le sceau avant de la décacheter et de la lire

« Jean, Mon cher ami,

Tu me pardonneras, j’en suis sûr, cette façon fort cavalière de me rappeler à ton souvenir et de te mander auprès de moi. Il se passe ici, au Louvre, des choses graves dont je t’entretiendrai à ton arrivée et pour lesquelles j’ai besoin de toi et de tes connaissances.

J’ai chargé Monsieur de Mortefonds, en qui j’ai entière confiance, de t’accompagner dans ce voyage et de veiller sur toi. Mais il ne sait, pour le moment, rien de ce qui me fait te demander de me rejoindre. Ce que, connaissant ta curiosité, tu feras certainement.

Viens au plus vite mon cher frère.

Henri

Le vicomte relut plusieurs fois la lettre, à la fois décontenancé et intrigué puis la glissa dans sa veste.

- Quand devons-nous partir, Monsieur de Mortefonds ?

- Le plus tôt sera le mieux, Monsieur le vicomte. Dès aujourd’hui, si c’est possible.

- Je vais faire le nécessaire. Entrez vous rafraichir et vous désaltérer. Alfred va s’occuper de vous. Alfred !

Le jeune homme arriva aussitôt. Il était grand, athlétique et noir comme l’ébène. De Brulhois expliqua à son visiteur qu’il venait d’Afrique centrale et vivait ici, en France, depuis plus de dix ans.

Le vicomte, accompagné de sa bonne, remonta dans sa chambre.

- Que se passe-t-il Monsieur ?

- Henri, le roi, veut que je le rejoigne à Paris et au plus vite. Aide-moi à préparer quelques affaires.

- Vous allez rester longtemps à Paris ?

- Je n’en sais rien, Mariette. Au cas où, après mon départ, tu prépareras mes malles pour un séjour beaucoup plus long.

- Bien Monsieur. Mais…

- Ne t’inquiète pas Mariette. Tout ira bien. Et puis Alfred sera là pour veiller sur toi et sur la maison. Je te laisse terminer mon bagage, je dois aller à mon laboratoire.

La voyant désemparée, le vicomte déposa un baiser sur le front de sa jeune bonne. Il vit les joues de la jeune fille rosir un peu et ses yeux se troubler.

Il descendit jusqu’à la cave. Dans sa lettre, Henri avait sous-entendu avoir besoin de ses talents de chimiste. Cela l’intriguait et l’inquiétait en même temps. Dans une caisse, il empila son nécessaire de chimie et quelques livres dont il pensait qu’ils lui seraient utiles. Puis il rejoignit son visiteur au salon.

Alfred, déjà, chargeait ses bagages sur la galerie du carrosse.

- Alfred, il y a une caisse au laboratoire. Mets là dans la voiture à un endroit où elle ne sera pas trop secouée.

Lorsque tout fut chargé, le vicomte serra le jeune africain contre lui, embrassa une nouvelle fois sa bonne dont les joues rosirent à nouveau et monta en voiture. Le carrosse s’ébranla et s’engagea dans la rue. Un homme au large chapeau s’agrippa à la portière. Le vicomte le prit pour un de ses fermiers.

- Eh ! Monsieur Jean ! Vous partez ?

- Je le dois. On me demande à Paris

- Si vous voyez notre roi Henri, saluez- le de notre part et dites- lui que Nérac l’attend avec impatience.

- Je n’y manquerai pas.

Bientôt la voiture, après avoir traversé la Baïse, quitta la ville et pris la direction de la Guyenne, remontant la plaine de Garonne vers Marmande puis Miramont. En traversant cette région où les avait poussés la chasse aux protestants quelques années plus tôt, Jean de Brulhois se mit à réfléchir à la curieuse invitation de son ami, désormais roi de France. Pourquoi Henri avait-il tant besoin de lui ? Pourquoi tout ce mystère ? Et quelles choses graves pouvaient inquiéter à ce point un homme aussi courageux qu’Henri de Navarre ?

Tandis que le carrosse poursuivait son chemin sur les routes du Périgord, le vicomte se souvint de ce qui le liait au roi.

Ils s’étaient connus dès leur enfance. Son statut de noble avait ouvert les portes du château des Albret au jeune Jean et il avait partagé les jeux du petit prince de Navarre. Tous deux étaient vite devenus amis au point qu’à chaque séjour à Nérac, Henri exigeait la présence de son »frère », comme il l’appelait. Plus tard, ils avaient partagé les mêmes vins, poursuivi les mêmes gibiers dans les forêts environnantes et couru les mêmes filles. Le vicomte se souvenait de la tristesse d’Henri lorsque cette pauvre Fleurette s’était noyée par amour pour lui dans une des fontaines du parc. Et puis il y avait eu la guerre, les batailles gagnées ou perdues contre les catholiques, l’exil vers la Guyenne et la captivité d’Henri à la cour, sa fuite et son retour dans le Lot et Garonne. Et c’est tout naturellement que Jean s’était retrouvé à la cour du roi de Navarre. Puis, Henri était enfin devenu roi de France. Malgré son insistance, le vicomte avait refusé de le suivre à Paris. Il s’était consacré à son domaine, l’avait fait prospérer et il avait voyagé, loin, très loin, aux confins de L’Europe et de l’Asie mais aussi en Amérique du sud et en Afrique.

Il avait aussi étudié les mathématiques et surtout la chimie domaine dans lequel il avait atteint un niveau de connaissance que bien des professeurs de la faculté lui auraient envié.

Même s’il dura presque trois jours, le voyage vers Paris se passa bien. Ferdinand de Mortefonds était un compagnon de voyage plutôt agréable et cultivé et il avait assez facilement accepté l’idée du vicomte de faire dormir le cocher dans un bon lit et de le laisser partager leur table à chaque étape.

Le carrosse arriva au Louvre à la tombée du jour. Sans qu’ils ne rencontrent personne, Mortefonds conduisit Le vicomte de Brulhois dans un dédale de couloirs jusqu’à un discret salon.

- Je vous quitte ici Monsieur le vicomte. Attendez, « il » va venir vous voir.

- Merci Monsieur de Mortefonds. Ce voyage avec vous me fût des plus agréables.

- Il le fût pour moi aussi. Mon devoir m’appelle, mais nous nous reverrons bien vite Monsieur.

Jean de Brulhois attendit quelques minutes, observant les boiseries et les tentures du salon. Une porte s’ouvrit et Henri entra, accompagné d’un homme que le vicomte reconnu immédiatement. C’était Maximilien de Béthune, le duc de Sully. De Brulhois, peu au fait des mœurs de la cour royale, esquissa une courbette…

- Majesté…

- S’il te plait, pas de ça entre nous, Jean. Appelles moi Henri, comme au bon vieux temps… Gardons les civilités pour les fois où tu viendras à la cour.

- Comme il te plaira.

Les deux hommes tombèrent dans les bras l’un de l’autre et s’étreignirent longuement.

-Ah Jean, mon bon Jean, mon frère, comme je suis heureux de te voir. Comment vas-tu ? Et comment va mon cher Nérac ?

- Nérac va aussi bien que possible et le peuple aimerait bien que tu y viennes. Tu nous manques à tous. Mais, je suppose que tu ne m’as pas fait venir ici pour avoir des nouvelles de Nérac et de notre beau pays.

-Non, bien sûr que non ! Maximilien et moi avons à t’entretenir de choses graves. Tu te souviens de Maximilien, je suppose.

- Bien sûr. Bonsoir Monsieur de Béthune.

- Appelez- moi Maximilien. Je suis très heureux de vous revoir Jean.

- Moi de même. Alors ? Dis- moi, Henri, ce qui me vaut d’être ici.

- Eh bien, autant te le dire franchement. Je crains pour ma vie et celle de Maximilien.

- Comment ça ?

- Voilà que depuis quelques semaines, cinq de mes serviteurs sont morts empoisonnés, le dernier il y a quatre jours, en goûtant les mets ou le vin qu’ils nous apportaient… Et j’ai grand peur que la prochaine victime, ce soit moi.

- Tes médecins ont dû identifier le poison…

- Justement non ! Ce poison leur est inconnu et ils ne savent pas en déceler les traces dans les corps.

- Cela arrive, en effet. Qu’attends-tu de moi ?

- Que tu découvres ce poison. Cela nous conduira peut être à l’empoisonneur. Je sais les immenses connaissances que tu as en chimie et, à vrai dire, tu es mon dernier espoir.

- Je ferai de mon mieux Henri. Mais il me faudra travailler sur les corps de ces malheureux, au moins le dernier.

- Tu pourras. Tu auras tout ce que tu voudras. Monsieur de Mortefonds sera là pour satisfaire tous tes besoins. Il est d’ailleurs en train d’installer tes affaires dans une maison que je te t’ai louée, à deux pas du palais. Je t’y ai fait installer un laboratoire. Personne ne doit savoir pourquoi tu es là et ce que tu fais et tu ne rendras compte qu’à Maximilien et moi-même de ton travail. Officiellement, tu es un ami que j’ai invité à la cour pour quelques temps.

- Cela va de soi, Henri. Sois sans crainte. Il va me falloir des rats pour mes expérimentations et j’aimerais que tu m’accordes une faveur.

- Laquelle ?

- J’aimerais qu’Alfred, mon fils et Mariette, ma bonne, me rejoignent ici. Je vais avoir besoin d’eux.

- Alfred ? Est-ce ce jeune africain que tu as sauvé?

- Oui. Il était en train de se noyer dans les eaux d’une rivière en furie. Et comme toute sa famille avait disparu, je l’ai ramené à Nérac. Je lui ai donné l’éducation que j’aurais donnée à mon fils et le considère comme tel. C’est un garçon très intelligent et il m’est d’une aide précieuse dans mes expériences.

- Ecris- leur une lettre. Un messager partira dès ce soir pour Nérac. Je dois te laisser maintenant, mon cher ami. Un de mes valets va te conduire chez toi et je te ferai amener le corps de la dernière victime dans la soirée.

Henri sortit du salon, suivi du duc de Sully et du vicomte. Une jeune femme se précipita vers le roi et se jeta à son cou.

-Oh majesté ! Ce n’est pas bien de me faire attendre. Je me consumais…

- Tout doux, jeune fille. Vous me voyez navré de vous avoir infligé cette longue attente. Mais nous allons de ce pas vous récompenser de votre belle patience et éteindre ce feu qui vous embrase.

Le roi s’en alla sans se retourner au bras de la jeune femme. Le vicomte esquissa un sourire et Maximilien de Béthune leva les yeux au ciel.

- Il est incorrigible ! Jamais il ne saura résister à une femme.

- Il ne serait pas Henri de Navarre s’il n’était point comme cela. Bonsoir Maximilien.

- Bonsoir Jean.

Le vicomte, accompagné d’un valet rejoignit ce qui allait être, dans les semaines à venir, son logis. Henri avait bien fait les choses. La maison était grande et confortable et, au sous-sol, la pièce dédiée au laboratoire, spacieuse et lumineuse. Après avoir fait le tour de la demeure, le vicomte rédigea une lettre à l’attention d’Alfred et de Mariette et la confia à Mortefonds.

- Faites, je vous prie, porter ceci à Nérac dans les plus brefs délais. Le roi est au courant.

- Ce sera fait Monsieur de Brulhois. Vous voilà installé. Que puis-je faire d’autre pour vous ?

- Trouvez-moi une vingtaine de rats et faites les amener ici. J’en ai besoin pour mes expériences.

- Ce sera chose facile tant ces bestioles pullulent dans cette ville. Vous les aurez demain matin. Je suis à votre entière disposition Monsieur, sur ordre du roi. Je réside dans la maison voisine, il vous sera aisé de me solliciter et ce quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit. Ah, une dernière chose. Un repas vous a été préparé, il vous attend dans la salle à manger.

- Encore merci Monsieur de Mortefonds.

Le vicomte s’installa devant son repas mais y toucha à peine. Il n’avait pas faim. Cette histoire le tourmentait, autant par sa difficulté que par le risque que courrait le roi. Si jamais Henri mourrait empoisonné, il s’en voudrait jusqu’à la fin de ses jours. Il lui fallait au plus vite identifier ce poison et ses effets et si possible démasquer le ou les coupables. Il alla chercher plusieurs de ses livres et, assis dans un confortable fauteuil, se plongea dans l’étude des substances toxiques. Au même instant, un messager quittait le Louvre et fonçait, à bride abattue, vers Nérac…

De Brulhois passa ainsi la soirée, consultant ses livres, prenant des notes. Son idée était, dans un premier temps, de répertorier tous les poisons dont il avait la connaissance puis de déterminer les mélanges possibles afin de préparer ses expériences. Il savait aussi que le mélange de certaines substances toxiques pouvait donner de redoutables poisons ne laissant aucune trace dans le corps humain. Vers minuit, on frappa à la porte. Le vicomte ouvrit et se trouva face à Mortefonds et deux hommes portant un bien étrange paquet.

- Navré de vous déranger si tard, Monsieur le vicomte, mais nous avions une livraison urgente à vous faire et ce colis, je crois, vous intéresse au plus haut point.

- Ne soyez pas désolé, Mortefonds. Je travaillais encore. Dites à vos hommes de porter ce paquet sur la grande table du laboratoire, au sous-sol.

Tandis que les deux hommes emmenaient le mystérieux colis, le marquis murmura

- C’est le corps de la cinquième victime. Nous avons tout fait pour le conserver dans le meilleur état. J’espère qu’il vous sera encore utile.

- Cela ne fait que quatre jours et je vais me mettre au travail immédiatement. Je devrais en sortir quelque chose. Allez dormir Mortefonds, je n’aurai plus besoin de vous ce soir.

Déjà, les deux hommes remontaient du sous-sol. Le vicomte prit congé d’eux et se rendit à son laboratoire.

- Voyons ce que tu as à me raconter mon pauvre ami.

Il examina soigneusement le corps, prenant scrupuleusement des notes. L’homme avait les lèvres bleues, ce qui arrivait couramment dans les cas d’empoisonnement, mais c’est la crispation de son visage qui frappa le plus de Brulhois. Ce n’était pas un rictus de douleur comme il en avait fréquemment vus. Non, c’était comme si tous les muscles du visage du valet s’étaient contractés brutalement et simultanément. Jamais il n’avait vu un poison avoir de tels effets. Après avoir longuement examiné le corps et constaté la même crispation de tous les muscles, le vicomte entreprit de l’ouvrir et d’en ponctionner les humeurs. Il fit plusieurs prélèvements dans le foie, les poumons, les reins et les veines de la victime et les déposa avec méthode dans des tubes de verres. Puis il prépara d’étranges mixtures dont lui seul avait le secret. C’était là sa grande invention et sa fierté. Il avait mis au point un procédé qui permettait de dissocier les différents éléments d’un mélange. Ensuite, à l’aide d’autres solutions, il saurait les identifier. Mais le procédé était long et la nuit déjà bien avancée. Il répartit ses mixtures dans les différents tubes, les ferma hermétiquement avec de la cire et décida de se reposer un peu.

Il se lava soigneusement les mains, monta dans sa chambre et s’allongea sur son lit. Longtemps il chercha le sommeil. Il revoyait le visage de son ami, l’inquiétude qu’il avait lue dans ses yeux. Il revoyait aussi celui du cadavre, allongé sur une table au sous-sol. Il fallait qu’il trouve, il le fallait absolument !

Vaincu par la fatigue, Jean de Brulhois finit par plonger dans un profond sommeil. Ce furent les coups sur la porte qui le réveillèrent. Il alla ouvrir et se trouva face à Mortefonds

- Bonjour Monsieur le vicomte. Nous vous amenons vos rats.

- Parfait ! Descendez-les au sous-sol.

Mortefonds, parti, après une rapide toilette, le vicomte redescendit à son laboratoire. Ses produits avaient fait leur effet et dans chaque tube, les liquides avaient pris diverses couleurs. Il prépara avec précaution d’autres mélanges qu’il répartit dans les tubes. Il attendit quelques minutes et s’emparant d’un recueil écrit par ses soins commença à identifier les éléments. Il finit par écarter un tube, issu du prélèvement sur le foie de la victime, dont la composition chimique lui était inconnue.

-Ainsi ce serait donc toi, le responsable de tous ces malheurs. Nous allons voir ça. Voyons, dis-moi qui tu es.

Il ouvrit le tube et l’huma à plusieurs reprises. L’odeur était douce, presque suave, celle d’une fleur sûrement. Après plusieurs examens olfactifs, il trouva au liquide un parfum de cannelle. Pas étonnant qu’il soit passé inaperçu dans la cuisine très épicée dont le roi était friand. Pour être sûr qu’il s’agissait bien du poison, il versa quelques gouttes du liquide sur de la mie de pain et sortit un des rats de la cage.

L’animal, trotta un peu sur la table, s’approcha du pain, le renifla et le mangea. En quelques secondes, il parut étouffer, son corps se raidit et il mourut. Le vicomte, stupéfait, renouvela l’expérience avec un autre rat plus gros que le précédent et obtint le même résultat. Une mort rapide et toujours accompagnée de cette impressionnante tétanie.

Jean de Brulhois n’avait jamais vu un poison aussi fulgurant et il chercha désespérément dans ses livres sans trouver aucun produit correspondant à celui qu’il venait de découvrir. Il lui fallait trouver rapidement une solution d’attente. Il se remit à la fabrication de ses mixtures et quelques heures plus tard il obtint ce qu’il cherchait : La composition chimique du poison. Et ce qu’il découvrit le stupéfia. Le produit mortel était un mélange de tous les autres poisons comme le cyanure ou la ciguë ou encore l’arsenic mais on y trouvait aussi des traces d’un végétal proche de la belladone. Peut-être le poison était-il extrait d’une plante ? En tout cas, il était très dangereux et il fallait l’identifier au plus vite. Le vicomte possédait un herbier, collection de toutes les plantes qu’il avait pu découvrir au cours de ses voyages, mais il était resté à Nérac, et n’arriverai que dans quelques jours avec Alfred et Mariette…

Alors, il s’installa à sa table de travail et se mit à réfléchir. Comment éviter le pire ? Fabriquer un antidote ? Pour être efficace, à en juger par la rapidité de la mort des deux rats, il fallait qu’il soit administré dans la seconde suivant l’absorption du poison. Non, il fallait trouver autre chose, un moyen de détecter le produit mortel avant qu’il ne soit ingéré, c’était cela la solution.

Il se mit au travail, noircissant des pages de formules, calculant des dosages et supputant des réactions. Malgré la fatigue, son cerveau travaillait à plein régime et en quelques heures, il tenait au bout de ses doigts un tube renfermant le fruit de son travail. Il mit un peu de poison dans une coupelle et y versa quelques gouttes du mélange qu’il venait de concocter. La réaction fut celle qu’il attendait. Le liquide changea de couleur et une émulsion se produisit dans la coupelle. Jean de Brulhois sourit. S’il n’avait pas trouvé l’antidote et la vraie nature du poison, il avait au moins trouvé le moyen de le détecter. Il renouvela son expérience sur de la mie de pain, puis sur de la viande de poulet et des fruits, obtenant, à chaque fois, le même résultat. Cela marchait ! Même sur les aliments.

La nuit était tombée. Le vicomte classa ses notes, recopia la formule de sa découverte et enferma le papier dans un petit coffre avant de se replonger dans la lecture d’un livre consacré aux poisons. Le sommeil le gagna et il s’endormit, assis à sa table.

De petits cris le sortirent de son sommeil. La veille, il avait oublié de refermer la cage et les rats s’étaient échappés. Certains avaient goûtés les mets empoisonnés et gisaient morts sur la table et le sol. Le vicomte dénombra ceux qui devaient encore être en vie et les captura un à un. Puis il remonta dans la maison, fit une longue toilette, se changea, mangea copieusement et se rendit chez son voisin.

- Bonjour Monsieur de Mortefonds

- Bonjour Monsieur de Brulhois. Que puis-je pour vous ?

- Conduisez-moi au Louvre. Il me faut voir rapidement le roi

- Bien sûr Monsieur. Suivez-moi.

Les deux hommes marchèrent d’un pas rapide vers le palais. Pour la première fois de sa vie, le vicomte faisait son entrée à la cour. Le Louvre était un palais immense, sombre et froid, presque triste, tout le contraire du personnage qui l’habitait. Pourtant, il y régnait une ambiance de fourmilière. Un impressionnant ballet de valets et de femmes de chambre se jouait dans les couloirs où se mêlaient catholiques et protestants, où l’on croisait des courtisans, des gens venus solliciter quelque faveur royale, des dames rivalisant de beauté et de dentelles.

Le vicomte aperçut même dans l’embrasure d’une porte ou dans un recoin, des couples s’embrassant et se lutinant. Amusé par le spectacle que lui offrait cette cour disparate, mais ne lâchant pas Mortefonds d’une semelle, il le suivit jusqu’aux appartements royaux. Le marquis le fit entrer dans un boudoir et lui demanda d’attendre. Quelques minutes plus tard, Henri et le duc de Sully entraient dans la pièce. Après une accolade franche et pleine d’émotion, le roi questionna son ami.

- Alors Jean ? As-tu des nouvelles ?

-Oui. J’ai réussi à isoler le poison et à en trouver la composition. Malheureusement, il est très violent et agit trop rapidement pour que je puisse élaborer un antidote. De plus, je ne sais pas encore d’où il provient. Il s’agit sûrement d’une plante mais je ne sais laquelle et ne pourrait le savoir que lorsque Alfred sera là avec mon herbier. Ils doivent être en route maintenant et ils seront là d’ici deux jours. Je pense que d’ici une courte semaine, je saurai, avec certitude, à quoi nous avons affaire.

Devant la mine déconfite du roi, il ajouta

- Mais j’ai trouvé un moyen de détecter le poison ! J’ai fabriqué une bonne quantité de ce produit. Il faudra que sur chaque plat de chaque repas, dans chaque bouteille de vin, on en verse quelques gouttes pour voir si le poison est présent. Je ne peux faire mieux, pour le moment.

- C’est déjà beaucoup mon ami. On m’avait dit que tu étais un brillant chimiste et on ne m’avait pas menti. Je donnerai des ordres pour que l’on fasse ce que tu préconises. Comment pourrais-je te remercier ?

- Tu me remercieras lorsque j’aurai terminé mon travail et que nous aurons mis sous les verrous le responsable de ces meurtres.

- En attendant mon frère, nous allons partager une bonne bouteille d’un vin de Gascogne.

Sur un signe de tête du roi, le duc de Sully sortit de la pièce et revint suivi d’un valet portant une carafe de vin et trois verres.

Le valet posa son plateau sur la table, ouvrit la carafe et s’apprêta à servir lorsque de Brulhois l’arrêta. Une légère odeur de cannelle l’avait mis en alerte…

- Attendez !

Il sortit une fiole de sa poche et versa quelques gouttes de son contenu dans la carafe. Instantanément, le vin prit une teinte bleue et une mousse blanche apparut à sa surface.

- Messieurs ce vin est empoisonné

Le vicomte vit le valet blêmir, prêt à défaillir. Il le soutint et l’aida à s’asseoir. Au même instant, Henri de Navarre, roi de France explosa d’une rage folle et se mit à briser tout ce qui lui tombait sous la main.

- Mais qu’ai-je fait pour mériter ceci ? Pourquoi ? Pourquoi, Monsieur de Béthune ? Qui cherche ainsi à me tuer ? Les catholiques ? Les protestants ? Je jure devant Dieu que le coupable brûlera dans les feux de l’enfer…

Sans doute habitué à ce genre de colères, le duc de Sully demeura impassible

- Calmez- vous, Henri. Il ne sert à rien de tout briser ainsi. Cela ne nous fera pas avancer vers la vérité. De grâce, reprenez votre sang- froid.

Le roi finit par se calmer. De Brulhois, qui n’avait pas quitté le valet, le questionna ?

- Comment vous appelez-vous mon brave ?

- Jean.

- Tout comme moi. Eh bien Jean, expliquez-nous. D’où vient ce vin ?

- De l’office ! Mais je ne sais pas qui l’a servi, Monsieur. Il était déjà dans la carafe lorsque je suis allé le chercher, à la demande de sa majesté

- C’est vrai. C’est moi qui ai demandé à ce qu’on nous prépare du vin et qui ait envoyé ce jeune homme le chercher. Vous n’avez donc rien vu.

- Non, sire. Je vous l’assure.

De Brulhois poursuivit

- Bien, laissez-nous et allez-vous remettre de vos émotions. Mais restez au palais, ces messieurs de la police viendront sûrement vous questionner.

Le valet sortit, se multipliant en courbettes, laissant les trois hommes seuls. Le duc de Sully prit la parole

- Monsieur de Brulhois, Jean, vous venez de nous sauver la vie et je vous en remercie. Que savez-vous exactement sur ce poison ?

- Eh bien, il est très puissant et fulgurant. La mort intervient en quelques secondes Je n’ai jamais vu une chose pareille. Il agit sur les muscles, provoquant une paralysie brutale et ce que les médecins appellent une tétanie. Non seulement les muscles ne fonctionnent plus mais en plus ils se rétractent. Je pense qu’on obtient ce poison par infusion puis par distillation d’une plante. Mais, comme je le disais précédemment, j’ignore encore laquelle. En attendant Alfred, je vais chercher dans mes livres

Le vicomte quitta le palais un moment après et alla marcher un peu sur les bords de la Seine. Respirer l’air pur après ces deux jours passés dans son laboratoire lui fit du bien. Absorbé par ses pensées, il ne remarqua pas l’homme au grand chapeau qui le suivait depuis sa sortie du Louvre. Il rentra chez lui et, après un frugal repas, se plongea de nouveau dans ses livres.

L’homme au grand Chapeau suivit de Brulhois jusqu’à chez lui puis, quelques rues plus loin, disparut derrière la porte d’une pauvre demeure.

Le baron de Merteuil était un bon vivant et excessivement riche. Son hôtel était l’un des plus beaux de Paris et rivalisait avec ceux des princes et même, disait-on, avec les appartements du roi. Le roi ! Il le haïssait et ne se rendait à la cour que pour les bals et les banquets. Il tirait son immense fortune du commerce qu’il entretenait avec l’Angleterre, de nombreuses filatures et de quelques propriétés. Laissant le soin à des hommes de confiance de gérer ses affaires, le baron menait, grand train, une vie de débauche, compensant sa laideur par sa richesse pour s’attirer les grâces des femmes ou des prostituées. Une de ces ribaudes, à demi dévêtue sur les genoux, Il ripaillait joyeusement avec ses invités lorsqu’un de ses serviteurs vint l’avertir qu’un visiteur l’attendait dans son bureau. Il quitta, à regret la donzelle, s’excusa auprès des convives et rejoignit l’homme qui l’attendait dans son bureau, un grand chapeau à la main.

- Que faites- vous ici ? Il me semblait que vous deviez éviter de venir chez moi. Ma maison est pleine d’invités et quelqu’un pourrait vous voir.

- Il n’y survivrait pas longtemps…

-Oui, je sais, je connais vos méthodes. Qu’avez-vous donc de si important à me dire ? Avez-vous enfin réussi ?

- Non, Monsieur. Nous avons, hélas, encore échoué. Vous m’en voyez navré. Mais ce n’est pas là la plus mauvaise des nouvelles que j’ai à vous apprendre.

- Je vous écoute…

- L’homme qui est venu de Nérac, le chimiste, est un ami du roi. Il a découvert un procédé permettant de déceler le poison et tous les plats destinés au roi seront désormais contrôlés. Voilà qui compromet sérieusement nos plans

- Que nenni ! Nous trouverons un autre moyen de répandre le poison. Ce de Brulhois, a-t-il trouvé la nature exacte de notre secret mortel ?

- Non. Pas encore. Mais il a de sérieux soupçons. Il va falloir nous méfier de lui

- Il parait très doué, en effet, ne le sous- estimons pas. Continuez à le surveiller étroitement et s’il le faut, éliminez- le. Disparaissez, maintenant. Ah, au fait ! Allez au laboratoire et faites fabriquer un peu plus de poison. Le roi n’est que le premier de la longue liste de ceux que nous devrons éliminer pour réaliser nos desseins.

- Bien Monsieur. Je vais faire le nécessaire

Le baron donna une bourse à l’homme et resta un moment dans son bureau. Ce contretemps était fâcheux et ce petit vicomte de province l’inquiétait et l’irritait profondément. Il s’arrêta un instant devant une cloche de verre sous laquelle trônait une petite fleur argentée.

- Bientôt tu auras ton heure de gloire ma belle. Bientôt, grâce à toi, nous serons débarrassés de ce navarrais et de ses amis. Grâce à toi, plus aucun Bourbon ne régnera sur notre pays

Et il descendit rejoindre ses invités.

Deux jours avait passé. Le vicomte après de longues recherches, avait fini par isoler une ou deux familles de plantes susceptibles de fournir la substance toxique qu’il avait trouvée dans son laboratoire. En début d’après-midi, il entendit un carrosse s’arrêter devant chez lui. Il jeta un œil par la fenêtre et descendit ouvrir. Alfred et Mariette arrivaient enfin.

Le jeune homme sauta du carrosse et étreignit le vicomte.

- Père ! Je suis heureux de vous revoir

- Moi aussi mon enfant. Diable ! Je ne t’ai pas vu d’une semaine et je me rends compte que tu es devenu un homme.

- C’est grâce à vous père…

- Alfred ? Veux-tu bien m’aider à descendre de cette voiture ?

Le vicomte tendit sa main à Mariette qui descendit à son tour du carrosse

- Merci Monsieur

- Mariette, comme te voilà belle ! Encore plus que toutes ces dames que j’ai vues à la cour.

Rougissante, elle le laissa lui faire un baisemain

- Vous êtes un flatteur, Monsieur.

Le marquis de Mortefonds sortit de chez lui. Il salua Mariette et se mit à aider Alfred et le cocher à décharger les malles.

Plantée au milieu de l’entrée, son chapeau à la main, Mariette dirigeait la manœuvre, sachant parfaitement où devait aller chaque bagage. Le vicomte se chargea lui-même d’emmener son matériel de chimie au laboratoire.

- Vous voilà bien installé et bien équipé, Père.

- Oui Alfred. Et nous allons avoir du travail dans les prochains jours. Tu m’as bien amené mon herbier ?

- Oui père, il est dans cette malle.

- Parfait ! Viens maintenant, j’ai à vous parler à Mariette et à toi.

Ils remontèrent au salon. Le vicomte proposa un rafraichissement et comme Mariette se levait, il lui intima doucement l’ordre de ne pas bouger et de se reposer.

- Pouvons-nous savoir pourquoi nous sommes ici Monsieur ?

- Bien sûr. Voilà, le roi m’a fait venir ici pour élucider une affaire. Quelqu’un essaie, depuis quelques semaines, de l’empoisonner, a déjà tué cinq personnes et il s’en est fallu de peu que ce ne soit mon tour ce matin.

- Mon Dieu ! Mais qui peut bien vouloir assassiner notre bon roi Henri ?

- Je n’en sais encore rien Mariette. J’ai, en vous attendant, découvert la substance mortelle mais j’avais besoin d’Alfred et de mon herbier pour trouver d’où elle provient. De là, nous remonterons certainement jusqu’à l’empoisonneur. J’ai aussi mis au point une solution qui permet de déceler le poison, mais… Bon sang ! Quel affreux idiot je suis !

Le vicomte se leva brutalement, sortit et alla frapper chez son voisin

- Qui y-a-t-il Monsieur le Vicomte ?

- Mortefonds ! Courrez immédiatement au Louvre et faites en sorte que l’on contrôle aussi la vaisselle du roi et celle de Monsieur de Béthune avec mon produit. Il en va de leurs vies !

- J’y cours Monsieur

Le vicomte rentra chez lui.

- Allez- vous reposer maintenant. Demain, nous aurons du travail.

De Brulhois se remit à ses livres et à ses notes qu’il classa méthodiquement. Cela lui prit jusqu’au soir. Mais il tenait là son plan de bataille. Demain, le poison lui livrerait ses derniers secrets.

Il entendit Mariette redescendre et s’activer en fredonnant dans la cuisine où il la rejoignit.

- Sa majesté nous a trouvé une bien belle maison, Monsieur Jean

- Oui Mariette. Mais elle était bien vide sans vous deux. Vous m’avez manqué, Alfred et toi. Tes chansons m’ont manqué...

- Vous devriez vous reposer un peu. Vous semblez épuisé.

- Plus tard ! Il me faut élucider ce mystère. Mais, je touche au but, je le sens.

Alfred les rejoignit. Le repas fut gai. Mariette raconta au vicomte les derniers potins de Nérac. Le rose aux joues, mais en riant, elle narra comment, le jour de la foire, un couple d’amoureux s’était retrouvés coincés, dans une position peu présentable et comment le médecin, après de longs efforts avait fini par les séparer. Alfred, lui, raconta la pêche miraculeuse et impressionnante d’une perche de plus d’un pied de long dans la Baïse.

Mariette finissait de débarrasser lorsqu’on frappa à la porte. Elle se précipita pour ouvrir

- Bonsoir Damoiselle. Monsieur de Brulhois est-il là ?

- Oui, qui dois-je annoncer ?

Le visiteur retira son chapeau. Le reconnaissant, la jeune femme, fit une grande révérence.

- Oh ! Pardonnez-moi, Majesté. Je ne vous avais point reconnu. Monsieur Jean est là

- Bien. Vous devez être Mariette, je suppose. Puis-je entrer ?

- Décidemment. Ce doit être l’émotion qui me fait manquer ainsi à tous mes devoirs. Je vous en prie, Majesté…

Elle s’écarta et Henri entra dans la maison.

- Henri ?

- Je suis venu incognito. Personne ne sait que je suis ici. J’avais besoin de sortir du Louvre et d’oublier un peu la lourdeur du pouvoir et le vacarme de tous ces courtisans. Et voici donc Alfred, celui que tu considères comme ton fils. Bonsoir jeune homme.

- Sire, je…

- Appelles-moi Henri mon petit. On me donne assez de « Sire » et de « Majesté » lorsque je suis au Louvre.

- Je te sens bien las, Henri.

- Je le suis, Jean. Le pouvoir est une belle chose, mais il est usant. C’est un ogre qui dévore tout et surtout ceux qui le servent. Régner est un souci constant, une lutte de tous les instants contre les uns et les autres. Je me suis battu pour être roi et ce combat était légitime, mais je t’avoue que certains soirs, je regrette notre jeunesse insouciante, là-bas, en Albret.

Mariette revint de la cuisine, portant un bocal dont elle entreprit de servir le contenu dans des verres.

- Des pruneaux à L’Armagnac ! Et excellents ! Cette jeune femme est un ange, mon cher Jean ! Tu as bien de la veine. Je vous félicite Mariette.

- Merci Majesté

- Il me semble avoir dit qu’ici, entre nous, je souhaitais que l’on m’appelle Henri. Cela est valable pour vous aussi ma chère.

La discussion porta vite sur Nérac. Mariette fit rire le roi avec son histoire d’amoureux puis, fatiguée, prit congé et monta se coucher. Longtemps le vicomte et le roi évoquèrent leur jeunesse et leurs frasques amusèrent autant qu’elles étonnèrent le jeune Alfred. De Brulhois raconta ses voyages à son ami, comment il avait sauvé Alfred d’une mort certaine et l’avait ramené en France. Henri de Navarre se montra impressionné par l’intelligence et la culture du jeune homme. Tard dans la nuit, le vicomte ayant insisté pour raccompagner le roi, les trois hommes sortirent de la maison.

Ils ne virent pas, tapi dans l’embrasure d’une porte, l’homme au grand chapeau. Ce dernier saisit le manche de son couteau puis se ravisa. Certes l’occasion était belle de tuer le roi et le baron de Merteuil saurait le récompenser. Mais les trois hommes étaient de solides gaillards et il n’aurait aucune chance de s’en sortir. Le navarrais devait mourir mais, lui, il tenait à sa peau. Surtout que, depuis qu’il s’était mis au service du baron, son petit magot ne cessait de grossir.

Le lendemain matin, le vicomte se leva et alla réveiller Alfred.

- Debout mon fils, nous avons du travail. Ne faisons pas de bruit et laissons dormir Mariette. Rejoins-moi au laboratoire

- J’arrive Père.

Les deux hommes se retrouvèrent au sous-sol de la maison.

- Par quoi commençons- nous Père ?

- J’ai sélectionné quelques plantes sur lesquelles nous allons travailler en priorité. Donne- moi mon herbier, nous allons commencer par faire des échantillons.

- Mais père, vous allez détruire votre livre. Vous avez mis tant de temps à trouver toutes ces plantes.

- Je vais te confier un secret Alfred. J’ai, dans mon bureau à Nérac, un double de cet herbier. Et puis nous n’avons pas le choix. Allons ! Enfilons nos gants et mettons-nous au travail.

Toute la matinée ils préparèrent et mirent à infuser dans des tubes des morceaux de plantes. Pour chacune de celles que le vicomte avait choisies, ils prélevaient un morceau de la fleur, un des feuilles et un de la tige

Midi sonna. Déjà le contenu des premiers tubes avait changé de couleur. Le vicomte les observa avec attention.

- Allons déjeuner mon fils. Lave-toi soigneusement les mains avec cette solution.

Ils rejoignirent Mariette qui leur avait préparé un succulent repas.

- Humm. Merci pour cet excellent repas Mariette. Tu nous as gâtés

- Vous travaillez tellement dur tous les deux. Puis-je me joindre à vous cet après-midi ? Je ne toucherai à rien.

- Si tu viens, il te faudra nous aider. Il va nous falloir, tantôt, distiller nos infusions et nous ne serons pas trop de trois.

Le vicomte et son fils aidèrent la jeune femme à ranger et faire la vaisselle. Elle rit de les voir aussi maladroits pour essuyer les verres et de les voir ouvrir tous les placards pour le rangement. Puis tous trois retournèrent au sous-sol. Le vicomte tendit une paire de gants à sa jeune bonne et ils se mirent à distiller les liquides contenus dans les tubes. Alfred s’occupait de la mise en chauffe, le vicomte surveillait avec minutie la distillation et Mariette rangeait dans un ordre bien défini, les liquides obtenus. A la fin de la journée, de Brulhois sortit de son coffre le flacon contenant son révélateur.

- Mes enfants, voici l’heure de vérité. Nous allons enfin savoir si notre empoisonneuse se cache dans ces tubes et surtout, qui elle est.

Il versa quelques gouttes de son révélateur dans chacun des tubes, mais aucun ne réagit. Bientôt, il n’en resta plus qu’un. Tendu, le vicomte y versa quelques gouttes de sa solution. Aussitôt, le liquide contenu dans le tube se teinta et une émulsion apparut à sa surface. Le vicomte s’empara de son herbier, tourna quelques pages et en sortit une petite plante à la fleur argentée qu’il montra à Alfred et Mariette.

- Je vous présente notre assassin. Luxforia Sementalis. Mais les indigènes d’Amérique du sud l’appellent « étoile de la mort ». Cette petite fleur bien innocente est une redoutable tueuse. Il suffit de porter les doigts à sa bouche après l’avoir touchée pour mourir en quelques secondes. Elle ne pousse que sur les hauts plateaux des Andes.

Lavez soigneusement et plusieurs fois vos mains et allez-vous préparer. Je vous emmène au Louvre, chez le roi.

Aucun des trois ne remarqua, à travers les vitres dépolies d’un soupirail, l’ombre d’un homme portant un grand chapeau.

Pendant qu’Alfred et Mariette se préparaient, De Brulhois alla frapper chez son voisin.

- Monsieur de Mortefonds, allez avertir le roi que je veux le voir de toute urgence. Nous vous rejoindrons au Louvre d’ici peu de temps.

- Bien monsieur le vicomte. J’y vais. Rejoignez –moi à l’entrée de la grande galerie.

Quelques minutes plus tard, Mariette descendit de sa chambre. Le vicomte de Brulhois eut le souffle coupé

- Mariette, vous... Vous êtes très belle !

La jeune femme rougit et baissa les yeux.

- Allons-y. le roi nous attend.

Ils se rendirent au Louvre. A l’entrée du palais, de Brulhois tendit son bras à Mariette et ils entrèrent dans la galerie. Toute la cour se figea. Mariette un peu gênée, tenta de rester digne et de ne pas rougir. Mais tous les visages étaient en fait tournés vers Alfred. S’ils en connaissaient l’existence, bien peu de courtisans avaient déjà vu un homme de couleur. Alfred était, de plus, un beau jeune homme, grand et athlétique et bien des dames, à son passage, se penchèrent l’une vers l’autre en se faisant des clins d’œil malicieux.

Le trio arriva au bout de la galerie et rejoignit le marquis de Mortefonds qui s’inclina devant la jeune femme.

- Vous voilà très en beauté Mademoiselle. Entrez, le roi vous attend.

Ils entrèrent dans le boudoir. Henri était là, accompagné de Maximilien.

- Jean ! As-tu enfin des nouvelles ?

- Oui, Henri. Connais-tu, dans ta cour, quelqu’un qui aurait voyagé en Amérique du sud ?

- A part toi, non. Mais je vais faire enquêter. Pourquoi me demandes-tu ça ?

- Parce que j’ai identifié la plante dont on tire le poison. Elle s’appelle Luxforia Sementalis, aussi connue sous le nom d’étoile de la mort et ne pousse que dans les montagnes des Andes.

- Bravo Jean. Je te félicite et te remercie, mille fois.

- Nous n’avons pas fini, Henri. Il nous reste à découvrir celui qui verse ce poison et cherche à te tuer.

- Ce ne sera pas aisé. A moins que vous n’ayez une idée, mon cher Jean.

- Peut-être, Maximilien. Henri, il faudrait rapidement organiser un bal. Celui qui a pu faire un tel voyage est forcément de ta noblesse de cour. Je ferai en sorte de porter un signe évoquant ces régions. Nous verrons bien qui mord à l’hameçon.

- Excellente idée Jean. Je te tiens au courant par l’entremise de Mortefonds. Va te reposer maintenant. Tu l’as bien mérité.

Le trio sortit mais, au dernier moment, le roi retint son ami.

- Attends un peu Jean. Ta bonne, Mariette, c’est une bien charmante personne.

- Henri...

- Je ne parle pas pour moi, Jean. J’ai ici un bataillon de femmes prêtes à tout pour se glisser dans mon lit mais je me désole de te voir encore seul et sans descendance, hormis celui que tu appelles ton fils. Regarde-là. Elle est jeune, belle, douce, elle sait tenir une maison. Et j’ai surpris vos regards pendant que nous parlions. Elle te dévore des yeux et tu n’oses pas la regarder. Penses-y mon ami. Nous vieillissons tous les deux, il se fait temps... A bientôt

Le vicomte, troublé par les propos de son ami, sortit du boudoir et repris le bras de Mariette. Il ne le lâcha pas jusqu’à la maison.

Ils dinèrent tous les trois, puis, après avoir joyeusement devisé montèrent se coucher. Le vicomte lut quelques poèmes de Clément Marot. La poésie le calmait, l’aidait à évacuer la tension de ces derniers jours. Il avait bien travaillé. Bientôt, l’assassin serait démasqué. Il souffla sa bougie et s’endormit, tout en pensant aux derniers mots de son ami et à Mariette.

Une odeur âcre le réveilla en sursaut. Il entendait des crépitements au rez de chaussée. Pas de doute, la maison brûlait. Il s’habilla en toute hâte, se rendit dans la chambre voisine et réveilla Alfred

- Debout mon fils et vite. La maison brûle. Habille- toi et attends- moi sur le palier, je vais chercher Mariette.

De Brulhois se rendit dans la chambre de la jeune femme et la réveilla à son tour. Sur le palier ils virent les flammes dévorer les tapis et les tentures. Le plafond était déjà embrasé et les flammes léchaient les premières marches de l’escalier. Le vicomte pris sa bonne dans ses bras.

- Descend Alfred. Ne t’arrête pas tant que tu n’es pas dans la rue. Nous te suivons. N’aies pas peur Mariette. Tout va bien se passer.

Ils descendirent au milieu des flammes qui se faisaient de plus en plus fortes. Alfred fonça vers la porte et l’ouvrit. L’appel d’air fit s’embraser toute l’entrée. Le vicomte suivi le jeune homme et tous trois furent dans la rue. Eveillés par le bruit de l’incendie, les voisins, dont Mortefonds accoururent.

- Tout va bien Monsieur le Vicomte ?

- Oui, nous sommes saufs.

- J’ai fait prévenir le roi et Monsieur de Béthune

Alfred intervint.

- Père ! Vos notes, vos formules, il faut les récupérer !

- Non Alfred. Le feu est trop fort. Nous ne pouvons plus rien.

Mais le jeune homme ne l’écouta pas. En quelques enjambées, il était devant la porte de la maison. Il prit une longue inspiration et entra. Quelques instants plus tard, l’étage s’écroulait dans une gerbe de flammes et d’étincelles.

- Alfred ! Mon Dieu, Non ! Pas mon fils !

Mariette poussa elle aussi un hurlement puis s’évanouit. De Brulhois l’allongea sur le sol et entreprit de la ranimer tandis que les voisins et des gens accourus du palais faisaient la chaine avec des seaux pour éteindre l’incendie. Henri et Maximilien arrivèrent au moment où Mariette reprenait ses esprits. Elle se blottit dans les bras du vicomte en sanglotant.

- Jean ! Dieu soit loué ! Tu n’as rien ? Et vous non plus mademoiselle ? Mais où est Alfred ?

- Alfred est mort Henri. C’est affreux. Il a voulu sauver mes documents et la maison s’est effondrée sur lui.

- Pauvre garçon. Je partage ta peine mon ami. Que s’est-il passé ?

- Je ne sais pas Henri. Le feu a pris au rez de chaussée et je suis sûr que toutes les bougies étaient bien éteintes lors que nous sommes montés.

- Tu penses qu’on a mis le feu volontairement, pour t’éliminer ?

- Et détruire tout ce que j’avais trouvé. Oui. Et celui qui a fait ça a sûrement réussi et en tuant Alfred, il m’a détruit à moi aussi.

De Brulhois vit Mariette pâlir. Elle ouvrit la bouche pour crier...

- Non, père ! Il a échoué !

Jean et Henri se retournèrent. Alfred se tenait au milieu de la rue et portait dans ses bras, le coffre du vicomte qui se précipita vers lui.

- Alfred ! Mon fils ! Dieu soit loué ! Je te croyais mort, brûlé vif dans cette fournaise...

- J’ai eu le temps d’entrer dans la cave avant que le plafond ne s’écroule. Les voûtes de pierre m’ont protégé. J’ai pu sauver toutes vos notes et votre herbier ainsi que le poison et le révélateur. Ensuite, je suis sorti dans la cour, par un des soupiraux.

Mariette s’approcha du jeune homme. Sa chemise était brûlée en différents endroits et ses cheveux avaient un peu roussi. La jeune femme le serra dans ses bras en pleurant.

Le roi se tourna vers le marquis de Mortefonds.

- Monsieur le marquis, allez, je vous prie, faire préparer des chambres pour mes amis dans mes appartements et donnez des consignes pour que personne ne s’approche de cette maison. Dès demain, je veux savoir si ce feu était volontaire et que l’on se mette en quête du coupable. Et faites venir une voiture.

- Bien Sire. Je me charge de tout cela.

Mortefonds s’inclina et partit en direction du Louvre. L’incendie s’éteignait petit à petit, noyé sous les seaux d’eau. Rapidement, un groupe de gardes arriva du palais et prit place autour des ruines fumantes. Un carrosse arriva dans lequel montèrent Mariette, Alfred, le vicomte, le duc et le roi.

Dans la foule, un homme portant un grand chapeau se retira discrètement en direction de la Seine. Ses yeux brillaient de rage. Il avait encore échoué. Non seulement le vicomte était encore en vie mais ce sale petit nègre avait réussi à sauver le résultat de ses recherches. Il était temps qu’il se mette à l’abri...

De Brulhois se leva tôt le lendemain matin et s’habilla. Maximilien de Béthune, de la même corpulence que lui, lui avait prêté, dès la veille, quelques habits. Dans la chambre voisine, Alfred dormait à poings fermés.

Mariette, elle, avait longtemps sangloté dans son lit mais à présent elle dormait paisiblement. Jean repensa à ce que lui avait dit Henri. Bien sûr, il n’était pas insensible aux charmes de la jeune femme. Il la trouvait même très belle. Il l’avait toujours appréciée mais depuis quelques jours, d’autres sentiments, plus forts, agitaient son cœur. Des sentiments qui lui étaient inconnus mais qu’il identifia très vite. Il était amoureux. Il se pencha vers la jeune femme et, sans la réveiller, déposa un baiser sur son front.

Le vicomte sortit du Louvre et huma l’air à pleins poumons et se dirigea vers ce qui avait été son logis. Des gardes surveillaient les ruines encore fumantes dans lesquelles deux policiers s’affairaient déjà. De Brulhois aperçu Mortefonds et lui fit signe.

- Bonjour Monsieur le vicomte. Vous me voyez heureux de vous voir en pleine santé. J’ai eu si peur pour vous hier soir. Comment vont votre fils et votre bonne ?

- Ils vont bien, je vous en remercie. Venez avec moi et aidons ces hommes à découvrir comment ce feu a pris.

Les deux hommes se firent connaitre des policiers et de Brulhois entraina le marquis dans les ruelles jusqu’à la porte qui donnait sur la cour de la maison. Ils enjambèrent les gravats et arrivèrent à ce qui avait été la porte de l’office. Le vicomte s’agenouilla et observa minutieusement les pierres, s’attardant sur celles du seuil. Il héla les deux policiers qui les rejoignirent.

- Regardez Mortefonds et vous aussi messieurs. Ces pierres sont du calcaire. C’est en les brûlant que l’on obtient de la chaux. Ici, sur les montants, elles sont juste noircies par la fumée. Mais celles-ci sont brûlées en profondeur et, voyez cette fine poudre blanche...

- De la chaux ?

- Exactement, Mortefonds ! On a fait sur cette pierre un feu suffisamment fort pour en faire de la chaux. Excusez-moi un instant.

Il se glissa par un soupirail dans le sous-sol de la maison. Dans ce qui avait été son laboratoire, il prit quelques instruments et quelques produits et ressortit. Il mélangea quelques éléments dans un tube et fit des prélèvements sur les pierres.

- Regardez ! C’est exactement ce que je pensais. On a fait du feu sur ces pierres et on a utilisé du pétrole pour le rendre plus fort. Si la porte existait encore, je suis sûr que nous y trouverions aussi des traces de ce produit. Pas de doute messieurs. Cet incendie était bien intentionnel. La suite vous appartient.

Le vicomte pris congé des trois hommes et rentra au Louvre. On l’informa que le roi l’attendait. Il se rendit au boudoir où se trouvaient déjà Mariette, Alfred et Maximilien.

- Jean, où diable étais-tu passé ?

- Je suis allé sur les ruines de la maison et j’y acquis la certitude que le feu a été mis volontairement à la porte de l’office. Le criminel a utilisé du pétrole pour être sûr que tout s’embrase.

- Celui qui a fait ça sera châtié, crois-moi. Nous savons, en tout cas que nos ennemis sont au courant de tes découvertes. Cela ne va pas nous faciliter la tâche.

- Quelqu’un a dû m’espionner pendant que je travaillais. Peut-être même a-t-il entendu nos conversations. Quoiqu’il en soit, faisons comme si de rien n’était et poursuivons notre plan.

- Tu as raison mon ami. Le bal aura lieu demain soir. Mais notre ou nos suspects risquent de ne pas se montrer.

- As-tu déjà vu un courtisan refuser l’invitation de son roi ? Et du peu que j’ai vu de ta cour, je sais que celui ou ceux que nous cherchons, tomberont, par simple vanité, dans le piège que je vais tendre.

Le roi et le duc de Sully se retirèrent et Alfred retourna dans sa chambre.

- Comment te sens-tu Mariette ?

- Bien. Mais je m’inquiète pour vous.

Il la serra dans ses bras

- Ne t’en fais pas ma douce Mariette. Cette histoire sera bientôt terminée et nous rentrerons tous à Nérac.

En attendant, viens. J’ai besoin de tes talents de brodeuse.

Sur les grands lustres de cristal, des milliers de bougies éclairaient la grande galerie du Louvre. Rivalisant de coquetterie et de bijoux, toute la noblesse de Paris s’était donné rendez-vous là pour un bal que le roi avait, lui-même, souhaité grandiose. De grandes tables chargées de mets étaient installées le long des murs et, dans un incessant ballet, des valets en grande tenue passaient d’un convive à l’autre pour servir des boissons. Les fenêtres grandes ouvertes laissaient rentrer le doux air de cette nuit de mai. Un orchestre attendait l’arrivée du roi pour se mettre à jouer

Dans les appartements royaux, Jean de Brulhois vérifia que la broderie que Mariette avait faite sur le revers de son habit était bien visible. La jeune femme sortit bientôt de sa chambre et le vicomte fut subjugué par sa beauté. Son cœur battit la chamade et ses sens s’égarèrent. Il bredouilla un compliment

- Tu es belle Mariette. Vraiment très belle et pas une femme ce soir ne le sera autant que toi.

- Oh, Monsieur Jean ! Vous allez me faire rougir

Le vicomte lui donna son bras en lui souriant et ils s’avancèrent vers la galerie, précédés d’Alfred dont l’arrivée dans la grande salle provoqua un grand étonnement.

Mariette se pencha discrètement vers le vicomte.

- Certaines dames me regardent méchamment

- C’est parce qu’elles sont jalouses de ta beauté. Ne te préoccupe pas d’elles. Voilà Henri.

Le roi venait de faire son entrée dans la salle. Le vicomte et sa cavalière s’approchèrent de lui pour le saluer. Le roi s’inclina devant la jeune femme et fit un clin d’œil à son ami vers qui il se pencha.

- Tu as de la chance mon ami, elle est divinement belle. Mais quelle est donc cette ridicule broderie sur ton habit ? J’aurais pu te prêter une épingle ou une broche.

- Cette ridicule broderie va peut-être nous permettre de confondre celui qui veut t’assassiner. C’est là mon piège. Mortefonds, qui connait tout le monde identifiera celui qui y mordra.

- je l’espère Jean

- Soyons patients Henri. Ca va marcher.

Sur un signe du roi, les musiciens se mirent à jouer. Le vicomte dansa avec Mariette. Elle était radieuse et il la trouvait de plus en plus belle et attirante. Puis il la laissa, non sans une pointe de tristesse et de jalousie aux bras d’autres cavaliers et se promena dans la salle, suivi discrètement par le marquis de Mortefonds. Plusieurs personnes s’approchèrent pour parler avec lui. Certains lui posèrent des questions sur cette étrange fleur brodée à son revers mais aucun ne semblait la connaitre. Puis un homme s’avança vers le vicomte. Il était gros et passablement laid.

- Bonsoir Monsieur. Que vois-je donc à votre revers ? N’est-ce point la belle Luxforia Sementalis.

- Si fait Monsieur

- Là où elle pousse, dans les montagnes des Andes on l’appelle aussi l’étoile de la mort, si ma mémoire est bonne.

- C’est tout à fait cela Monsieur. Mais, vous me semblez bien connaitre cette fleur et cette région

- Cette fleur si belle est un danger mortel. Quant à l’Amérique espagnole, j’ai eu la chance d’y faire, il y a de ça quelques années, un merveilleux voyage.

- Je le fis également et il me serait fort agréable que nous en discutions, si vous le voulez-bien.

- Pourquoi pas Monsieur ? Mais, pour l’instant, venant juste d’arriver, j’aimerais, si vous le permettez, me restaurer et goûter à ces vins aux couleurs chatoyantes. Nous nous reverrons dans la soirée.

- Je vous en prie, cher Monsieur. Que cette soirée vous soit agréable.

Le vicomte rejoignit Mortefonds de l’autre côté de la galerie.

- Qui est ce gros homme qui vient de me parler ?

- Le baron de Merteuil, Monsieur

- Et bien, faites sur le champ enquêter sur lui. Je vais parler au roi.

Il alla rejoindre Henri qui dansait à ce moment-là avec Mariette sous les yeux ébahis et jaloux des dames de la cour. Le roi courrait souvent le guilledou avec les soubrettes mais qu’une petite bonne de province vint les narguer ainsi en plein bal de la cour les insupportait.

Le vicomte s’approcha du roi, suffisamment pour pouvoir lui murmurer

- Henri ! Mon piège à fonctionné ! Viens, j’ai à te parler.

Le roi s’excusa auprès de sa cavalière qu’il confia au duc de Provence et suivit son ami dans un cabinet.

- Tu dis que ton piège a fonctionné ? Mon ami, tu es formidable.

- Tu connais le baron de Merteuil ?

- Un peu. A ce qu’on dit, c’est un homme très riche. Ce serait lui notre homme ?

- Il a voyagé aux Amériques et il semble connaitre parfaitement cette fleur. J’ai demandé à Mortefonds de faire sa petite enquête. Nous en saurons bientôt plus sur cet homme.

- Je vais tout de suite donner des ordres pour qu’on le fasse suivre. Jean, mon ami, pourrais-je un jour te remercier à la hauteur de ce que tu fais pour moi ?

- Ton amitié me suffit Henri. Je ne demande rien de plus. Et puis, ne suis-je pas censé servir mon roi ?

Henri IV eut un sourire. Les deux hommes retournèrent vers la salle de bal. Alfred racontait les quelques souvenirs qu’il avait de l’Afrique à un parterre de dames et de messieurs qui semblaient boire ses paroles. Mariette ne dansait plus et discutait avec Maximilien. De Brulhois chercha du regard et finit par trouver le baron de Merteuil, passablement aviné, vautré sur un banc et riant en compagnie de deux demoiselles peu farouches. Lui l’humaniste, d’habitude si compréhensif et patient, se surprit à se laisser aller à la colère.

La soirée se termina. En prenant congé de ses amis, le roi prit Jean à part.

- Mortefonds veut nous voir demain matin dès la première heure.

- Envoie un de tes valets me réveiller. Bien le bonsoir Henri.

- Douce nuit à toi mon ami.

Le vicomte retourna à sa chambre. Alfred était déjà parti se coucher. Mariette tombait de sommeil. Elle avait défait ses cheveux blonds qui tombaient sur ses épaules nues. Il la trouva encore plus belle.

Le lendemain, aux aurores, un valet vint réveiller le Vicomte. Il s’habilla et se rendit au boudoir où Mortefonds attendait déjà. Le roi et Maximilien ne tardèrent pas à les rejoindre.

- Monsieur de Mortefonds, nous vous écoutons.

- Eh bien, Monsieur de Merteuil est apparenté à la famille de Guise dont il avait, évidemment pris le parti. Mais lorsque votre Majesté a commencé à régner, il a quitté le parti catholique et a disparu pendant deux années. C’est là qu’il s’est rendu aux Amériques. A son retour, il s’est déclaré comme un de vos plus fervents partisans tout en continuant à fréquenter ses anciens amis. Depuis, il mène une vie de débauche que lui permet son immense fortune et fréquente les milieux mal famés.

- Qu’en dites-vous, Messieurs ? Peut- être pourrions-nous rendre une petite visite à ce Monsieur de Merteuil ?

- Nous pouvons Majesté. Mais il nous faut faire preuve de prudence.

- Monsieur de Mortefonds a raison, Henri. Il se peut que le Baron ait eu quelques soupçons et que nous soyons attendus.

- Soit. Que l’on prépare une compagnie de gardes et nos chevaux.

En sortant du Louvre, passablement saoul, le Baron de Merteuil avait trainé sur les quais de la Seine puis, aucune courtisane n’ayant voulu de lui, il était allé chez les filles de mauvaise vie, près de l’hôtel des Tuileries. Ce matin, il somnolait, en proie à un affreux mal de tête lorsque un de ses valets vint le secouer

- Qu’y-a-t-il ? Ne voyez-vous pas que je me repose ?

- Une visite Monsieur le Baron…

- Et bien dites à cet importun de revenir plus tard !

- Mais, Monsieur, c’est le roi !

- Quoi ? Pourquoi ne le disiez-vous pas ? Aidez- moi à mettre mon habit !

Quelques minutes plus tard, il descendait. Il s’inclina profondément devant le roi.

- Majesté ! Que me vaut l’honneur de vous voir en ma maison ?

- Certainement pas la courtoisie Monsieur.

- Mais… Majesté, puis-je savoir ?

Il n’y eut pas de réponse et, sur un signe du roi, des gardes investirent la maison et commencèrent à la fouiller, pièce après pièce tandis que d’autres investissaient les sous-sols. Un long moment se passa et leur capitaine finit par se présenter au roi.

- Nous avons tout fouillé et n’avons rien trouvé Majesté.

Le roi se retourna vers de Brulhois puis vers le Baron

- Voilà qui est fâcheux. On nous aura mal informés. Monsieur de Merteuil, je vous prie d’accepter mes excuses.

- je les accepte, Sire. Ma maison n’est-elle point la vôtre ?

Le vicomte bouillait de colère. Le baron avait donc fait disparaitre toutes les traces. Le roi allait se retirer lorsqu’il intervint :

- Attendez Sire ! Monsieur de Merteuil, il me semble que les gardes n’ont pas fouillé le secrétaire qui se trouve juste derrière vous. Vous ne verrez pas d’inconvénient, je le suppose, à nous montrer ce qu’il contient.

- C’est que… Je n’en ai pas la clé

- Qu’à cela ne tienne, Monsieur le baron. Il nous sera aisé de l’ouvrir avec ceci.

Le vicomte sortit une épingle de son habit. Toute la nuit il avait réfléchi à cette visite chez le baron et envisagé toutes les éventualités. De Merteuil recula, faisant rempart de son corps devant le meuble. La main sur son épée, De Mortefonds s’avança. Les yeux brillants de colère, le roi intima l’ordre au baron de se reculer.

De Brulhois ouvrit le secrétaire. Il ne contenait apparemment que quelques papiers mais de son regard observateur, le vicomte releva quelque chose d’étrange dans le meuble. Passant ses doigts sur les parois, il finit par trouver le mécanisme et une niche secrète s’ouvrit. A l’intérieur, il y avait une fiole contenant un liquide transparent et une cloche de verre sous laquelle trônait une petite fleur argentée. Le vicomte ouvrit la fiole et la porta à son nez. Une odeur de cannelle effleura ses narines. Il sortit un tube de sa poche et versa quelques gouttes de son contenu dans le flacon. Le liquide se colora et une émulsion se forma à la surface.

- Majesté, Messieurs, ce liquide est bien le poison, j’en suis certain. Quand à cette fleur, il s’agit d’un très beau spécimen de la Luxforia Sementalis, l’étoile de la mort.

Le marquis de Mortefonds se tourna vers le Baron

- Monsieur de Merteuil, au nom de sa majesté, le roi Henri IV, je vous arrête pour trahison, assassinat et tentative d’assassinat sur les personnes du roi et de Monsieur de Béthune. J’ajoute également les motifs d’incendie volontaire et de tentative d’assassinat sur les personnes de Monsieur de Brulhois, de son fils et de sa servante. Gardes ! Saisissez cet homme !

Cerné par les hommes en armes, le baron s’adressa au roi.

- Majesté ! J’implore votre pitié !

- Ma pitié ? En avez-vous eu pour ces pauvres malheureux que vous avez tués ? En avez-vous eu lorsque vous avez ordonné de tuer mes amis ? Je vous déchois, sur le champ de tous vos titres et confisque tous vos biens. Pour le reste, vous vous en expliquerez devant la justice de votre roi et celle de Dieu. Qu’on emmène cet homme !

Deux jours plus tard.

Le roi se tenait dans sa pièce de travail en compagnie du Duc de Sully. Jean de Brulhois, Mariette et Alfred venaient de les rejoindre.

- Ainsi, mon ami, tu repars pour Nérac. Tu ne veux point rester près de moi.

- Ma ville me manque. Elle nous manque. Et j’y ai à faire.

- Je comprends. Je vous souhaite une bonne route. J’ai fait préparer le plus confortable de mes carrosses pour votre voyage et les cochers ont pour instruction de vous conduire dans les meilleures auberges.

- Je te remercie Henri mais…

- Ce n’est pas tout ! J’ai signé hier soir les actes qui font officiellement d’Alfred, ton fils légitime. En remerciement du service que tu viens de rendre, non seulement à ton ami mais à aussi à ton roi et à ton pays, je te donne tous les titres de Merteuil ainsi que sa fortune. Quant à vous, mademoiselle, une malle qui vous est destinée est, en ce moment, chargée sur votre carrosse. Je vous laisse le soin de découvrir les trésors qu’elle renferme.

Le roi les étreignit longuement et Maximilien, peu enclin à ce genre de débordements affectifs, en fit autant. Ils prirent congé et Henri retint son ami par la manche.

- Encore merci mon frère. Je savais pouvoir compter sur toi. Je te serai à jamais reconnaissant de ce que tu as fait. Va ! Songe à ce que je t’ai dit l’autre jour mon bon Jean… A propos de Mariette.

- J’y songe Henri. J’y songe de plus en plus. Viendras-tu à Nérac ?

- Je viendrai, je te le promets, et tu en seras le premier informé.

De Brulhois, Mariette et Alfred descendirent dans la cour où les attendait leur voiture.

- Monsieur le vicomte !

- Monsieur de Mortefonds ! Nous partons…

- De Merteuil a tout avoué. Il a donné ses complices qui sont tous sous les verrous, sauf un, que nous finirons bien par rattraper et nous avons détruit le laboratoire où il fabriquait le poison.

- Voilà une bonne chose. Au revoir Monsieur. Ce fût un plaisir de vous connaitre et de régler cette affaire avec vous.

- Le plaisir fût partagé. Bonne route Monsieur le vicomte.

Le carrosse s’ébranla. A la porte du palais, un homme portant un grand chapeau le regarda passer…

Ils roulèrent toute la journée et le soir, firent halte dans une auberge de cette région que l’on appelait la Sologne. Tandis qu’Alfred se rafraichissait en plaisantant avec les cochers, le vicomte proposa à Mariette d’aller faire quelques pas. Elle lui prit son bras et ils s’engagèrent sur une allée boisée qui les mena jusqu’à un étang. Il la prit par la taille

- Mariette…

- Oui Monsieur Jean

- Je n’ai pas l’habitude de parler aux femmes et ne sais pas bien le faire mais je…

Il la serra contre lui et l’embrassa. Elle, mit ses mains autour de son cou et lui rendit son baiser.

Epilogue

Nérac, 16 mai 1610

Dix années avait passé. A sa table de travail, Jean de Brulhois achevait d’écrire une lettre à son ami Maximilien de Béthune, lui souhaitant un prompt rétablissement.

Henri était venu deux fois à Nérac, la dernière fois, six ans plus tôt à l’occasion du baptême de la petite fille blonde qui entrait dans le bureau suivie de Mariette.

- Papa ! Maman me dit que vous allez m’emmener faire du bateau sur la rivière.

- C’est vrai ma chérie. Nous irons demain. Une fois qu’Alfred sera arrivé. D’ailleurs, viens ! Allons l’attendre sur le balcon, il ne devrait plus tarder.

Il prit la petite fille dans ses bras, son épouse par la taille et tous trois se rendirent sur le balcon. Alfred, qui étudiait la médecine à Bordeaux, arriva bientôt. En descendant de cheval, il se tourna vers le château et s’immobilisa.

- Père ! Regardez !

Sur les terrasses du château, deux hommes hissaient un drapeau noir en lieu et place de la bannière des Albret.

De Brulhois, Mariette et Alfred se précipitèrent sur la place. Fendant la foule, ils arrivèrent aux premières marches, devant le château. Après un roulement de tambour, un homme vêtu de noir pris la parole.

- En ce jour, quatorzième du mois de mai, notre bon roi Henri le quatrième est mort, lâchement assassiné. Sa majesté la reine devient régente du royaume jusqu’à la majorité de son altesse, le prince Louis. Il est décrété un mois de deuil dans tout le royaume !

Mariette se serra contre son époux et fondit en larmes. Jean s’appuya sur l’épaule de son fils.

- Pauvre Henri. Ses ennemis seront tout de même parvenus à leurs fins.

Rédigé par LIOGIER François

Publié dans #NOUVELLES

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