ACIDE

Publié le 15 Décembre 2014

Antoine Plantier récupéra sa carte bleue, remonta sa vitre et s’engagea sur le périphérique qui contournait Toulouse. Il jeta un bref coup d’œil vers Estelle qui somnolait sur le siège passager. Depuis quelques mois, ils ne se quittaient plus et la date de leur mariage approchait. Habitués tous les deux à des vies solitaires, ils avaient mis du temps avant de franchir le pas. Plantier songea aux changements qu’avait connus sa vie depuis qu’il avait rencontré Estelle. Lui, le loup solitaire qui prenait à peine soin de lui, s’était rangé, même si son travail lui imposait encore de vivre sans tenir compte du jour ou de l’heure. Il s’était assagi et le calme et la douceur de la jeune femme lui avaient fait oublier bien des fantômes. Et puis… Cela faisait bien longtemps qu’il n’avait pas ouvert ce tiroir de son bureau, celui où il dissimulait sa bouteille de whisky. Il regarda sa compagne en souriant et posa sa main sur sa cuisse.

- Tss ! Tss ! Tu devrais te concentrer sur ta conduite.

- Je t’ai réveillée ?

- Je ne dormais pas vraiment.

- Sympa, ce week-end chez tes parents. Ton père est un type extraordinaire.

- Tu lui plais beaucoup, il me l’a dit ce matin.

Plantier promenait sa main sur les jambes de sa compagne.

- Et à toi ? Je te plais ?

- A ton avis ?

- Tu es vraiment très belle, tu sais.

- Tu me le dis si souvent que j’ai fini par le croire. Et je te trouve très beau, mais…

- Mais ?

- Mais, pour le moment, tu conduis. Par contre, quand nous serons arrivés… Enfin, j’espère que tu n’es pas trop fatigué.

- Coquine !

- Il ne fallait pas commencer.

Le commissaire alluma le gyrophare posé sur le tableau de bord.

- Antoine ! Qu’est-ce que tu fais ?

- J’ai une urgence.

Ils éclatèrent de rire.

La nuit était tombée sur Poitiers. L’homme termina sa première ronde. Il remplit consciencieusement le journal de garde. Travailler comme gardien de nuit faisait partie du processus. Il récupéra un chariot et se dirigea vers sa voiture. Il peina à sortir le contenu du coffre. Poussant le chariot devant lui, l’homme se dirigea vers l’entrepôt numéro 3. Il longea les cuves et s’arrêta devant l’une d’elles. Il avait bien repéré les lieux les jours précédents mais il vérifia quand même sur la paroi qu’il s’agissait bien de la bonne :

« H2SO4 – ACIDE SULFURIQUE »

Tranquillement, l’homme pris de la drisse en nylon et élingua le paquet. La première fois, il avait tâtonné, recommençant plusieurs fois mais, maintenant, il était au point. Il ouvrit le couvercle de la cuve. En grinçant, la lourde plaque d’acier se souleva. L’homme accrocha la charge à un palan, la positionna juste au-dessus de la cuve et la fit descendre. Il y eut un léger bruit lorsque le paquet entra dans le liquide visqueux. L’homme crut l’entendre grignoter ce qu’il venait de lui offrir. Il attendit de longues minutes tout en observant les élingues qui finirent par se détendre puis par glisser dans le liquide. Il remit le palan en place et referma la cuve avant de sortir sur le quai de chargement.

La nuit était douce. L’homme alluma une cigarette et se détendit. A la lueur des réverbères, il vérifia sa tenue. Rien. Aucune trace. Le bruit de l’autoroute toute proche lui parvenait, un grondement sourd et régulier. Une porte s’ouvrit. Son homologue sortit de l’entrepôt situé de l’autre côté de la rue et le salua. L’homme lui répondit d’un geste de la main.

- Ca va collègue ?

- Oui. C’est calme le week-end.

- Espérons que ça continue. Bonne nuit !

- Bonne nuit.

L’homme termina sa cigarette et revint à son bureau. Il prit son téléphone et ouvrit le dossier contenant ses photos. Il en regarda plusieurs puis les effaça.

- Adieu, Mademoiselle Quatre.

Il ouvrit une autre photo. Son regard s’assombrit.

- Tu as vu ? Tu as vu ce que toi et l’autre m’obligez à faire ? Tu as de la veine de ne plus être là. Mais lui… Lui, il va payer ! Pour vous deux !

L’homme referma la photo et jeta le téléphone sur le bureau. Il se cala sur son fauteuil. Bientôt, il faudrait qu’il retourne là-bas, dans son refuge. Le temps de retrouver son calme et d’attendre la crise suivante. Mais il avait encore des choses à faire ici et des comptes à régler. Il allait en finir avec l’autre.

Antoine Plantier arriva à son bureau. Même s’il n’avait pas d’horaire fixe, il estima être en retard. Il avait à peine allumé son ordinateur quand David Maurel, son adjoint, fit irruption dans la pièce.

- Salut Antoine ! Ouh la ! Le week-end a dû être rude.

- J’étais chez mes beaux-parents et mon beau- père est plutôt du genre bon vivant, si tu vois ce que je veux dire.

- Je vois. Et, vu les cernes sous tes yeux, j’ai dans l’idée que sa fille a hérité de son tempérament.

- Dis donc ! Je te rappelle que tu t’adresses à ton supérieur.

- Oui chef ! D’ailleurs, j’aimerais bien que Monsieur le divisionnaire jette un coup d’œil à ceci.

Plantier étudia le document.

- Bon, il s’agit d’une disparition. Tu te souviens que nous sommes censés traiter les affaires tordues.

- Justement ! C’est la deuxième disparition en quelques semaines sur Poitiers. Ce qui est étrange, c’est qu’on n’a retrouvé aucune trace de ces deux femmes. J’ai creusé un peu, en t’attendant. Interpol signale deux cas similaires à Wavre, en Belgique, il y a deux ans. Affaires non élucidées.

- Humm. Etrange, en effet. Essaies d’en savoir plus du côté des belges. Tu sais qui suit l’affaire à Poitiers ?

- Un certain commissaire Duverne…

- Jean Duverne ?

- Oui. Tu le connais ?

- Il était dans ma promo à l’école de police. Un excellent copain. Je vais l’appeler. Ferme la porte en sortant.

- Bien chef !

Maurel regagna son bureau. Plantier resta un moment pensif. Il avait suffi de deux petites phrases pour que les fantômes pointent le bout de leurs nez. Celui de sa jeune collègue, assassinée à Paris. Et celui de son assassin qu’il avait retrouvé et froidement abattu alors qu’il s’apprêtait à faire subir le même sort à Estelle. Le commissaire hésita un long moment puis il ouvrit son tiroir. La première gorgée de whisky lui brûla la gorge et le fit tousser. Il reprit ses esprits et termina lentement son verre tout en consultant l’annuaire de la police sur son ordinateur. Il composa un numéro sur son téléphone.

- Commissaire Duverne, P.J. de Poitiers.

- Bonjour Jean. C’est Antoine. Antoine Plantier.

- Ca alors ! Comment vas-tu ?

- Bien. Bientôt marié.

Duverne éclata de rire.

- Toi ? Marié ? Celle-là, c’est la meilleure de l’année ! Tu veux mon adresse pour le faire-part ?

- Tu me la donneras si tu veux. Mais, ce n’est pas pour ça que je t’appelle. Tu as signalé une disparition inquiétante vendredi soir.

- Oui. Personne n’a vu cette femme depuis une semaine. On a fait des recherches qui n’ont rien donné et ses comptes bancaires restent muets.

- Et la première ?

- Il y a un mois. Même chose. Et je n’ai aucun témoin. En fait, nous pataugeons. Tu vas reprendre l’affaire ?

- Au moins te donner un coup de main. Tu sais que les belges ont eu le même cas ?

- Oui

- Mon adjoint prend contact avec eux. On en saura vite plus.

- Je vais te faire expédier notre maigre dossier. Tu penses venir à Poitiers ?

- Pas dans l’immédiat mais ça se pourrait.

- Ok. Je te tiens au courant si j’ai du nouveau. Salut Antoine.

- Salut Jean.

Plantier raccrocha au moment où son interphone grésillait.

- Oui, David.

- J’ai eu les belges. Ils continuent d’enquêter mais sont un peu au point mort. Ils nous envoient leur dossier. Tu as eu ton pote ?

- Oui. Lui non plus n’a pas trop avancé.

- Tu crois que nous ?

- Ca va pas être facile.

Les dossiers arrivèrent quelques heures plus tard. Plantier et Maurel réunirent leur équipe et répartirent les tâches. Ils se retrouvèrent seuls dans la salle de réunion.

- On fait le point ?

- Oui chef !

- David, tu es lourd, par moments. Récapitulons.

- Bien. On a quatre jeunes femmes disparues soudainement. Elles étaient toutes célibataires et avaient des vies bien rangées. En apparence, en tout cas.

Plantier se retourna vers le tableau où étaient affichées les photos des disparues et les observa longuement.

- Observe bien les photos, David et dis-moi ce que tu vois.

- Je vois quatre jeunes femmes. Elles sont toutes brunes.

- Regarde de plus près ! Tu ne remarques rien ?

- Non.

- Elles se ressemblent David ! Leurs visages ont tous des points communs.

- Tu as raison. Tu crois qu’on a affaire à un collectionneur ?

- C’est ce que je crains.

Plantier consulta sa montre.

- Rentre chez toi. Demain, on creuse dans les dossiers pour trouver autre chose. Je vais informer Duverne et les belges.

- D’accord. Bonne soirée. Antoine ?

- Oui.

- Ca va aller ?

- Pourquoi tu me demandes ça ?

- Parce que tu as une haleine de douze ans d’âge !

Plantier entra chez lui un moment plus tard. Sans un mot, il se servit un verre et s’installa sur le canapé. Estelle l’observa un moment puis vint se pelotonner contre lui.

- Qu’est-ce qu’il y a Antoine ? Un problème.

- Oui.

- Avec moi ?

- Non ma chérie, pas du tout. C’est le boulot.

- Je t’ai promis de ne pas poser de questions mais tu es dans un sale état. C’est quoi ?

- Des disparitions. Etranges.

Il lui expliqua de quoi il retournait. La jeune femme sentit un frisson parcourir son échine.

- Tu crois que…

- Non ! Impossible ! Personne ne peut survivre à une balle de 357 en plein cœur.

- Tu me rassures. Bon ! Je vais faire l’épouse modèle et je vais te chouchouter ce soir. Viens prendre une douche.

Il la regarda droit dans les yeux.

- Je te promets d’être sage.

Estelle fit tout son possible, elle oublia même sa promesse. Il eut du mal à s’endormir ce soir-là. Les images se bousculaient dans sa tête, mélangeant l’affaire passée et celle du présent. Non, il ne pouvait pas être revenu. Par contre, un imitateur… Il nota qu’il devrait évoquer cette éventualité avec son adjoint puis ferma enfin les yeux.

L’homme regarda la jeune femme disparaitre dans l’immeuble puis se concentra sur son téléphone. Les yeux rivés sur l’écran, il le caressa un moment.

- Vous êtes ravissante, Mademoiselle Cinq.

Sa main se crispa sur le téléphone.

- Mais tu vas payer, Salope ! Pour tout ce que tu m’as fait !

Il jeta le téléphone sur le siège passager et démarra. Il était l’heure d’aller travailler. Il prit son service et effectua sa première ronde. Ses pensées tournoyaient. Il fallait qu’il fasse vite. Le délire le guettait. Bientôt il deviendrait incontrôlable. Il décida qu’il aborderait la jeune femme dès le lendemain. Lentement, il mit en place son plan. Mademoiselle Cinq serait la dernière. Celle par laquelle il se vengerait de l’autre et de cette femme qu’il haïssait. Après, il irait se reposer et tout irait mieux. Il lui faudrait, bien sûr régler d’autres problèmes mais il n’aurait plus besoin de tuer. Il termina sa ronde, fuma une cigarette et rejoignit son bureau. Il connecta son téléphone à l’ordinateur et copia les dernières photos sur une clé U.S.B. La clé de sa vengeance.

Plantier s’installa dans la salle de réunion. Face au grand tableau, il observait les visages des quatre femmes. Son adjoint entra dans la pièce.

- Tu as une idée ?

- J’ai pensé à un truc hier soir. Un imitateur…

- Tu pensais à lui ?

- Oui, mais ça ne colle pas. Ducret* faisait tout pour qu’on sache ce qu’il avait fait à ses victimes.

- On a peut-être affaire à un type encore plus fou. Ou, comme on le disait hier, à un collectionneur. Si ça se trouve, il enterre ses victimes chez lui ou les garde dans son congélateur.

- Tu oublies que ce type a tué en deux endroits différents éloignés de plusieurs centaines de kilomètres.

- Tu as raison. Ca ne colle pas non plus. Nous voilà bien avancés.

Plantier se reconcentra sur les photographies. Il étudia longuement les visages des quatre jeunes femmes.

- Il se venge.

- Pardon ?

- Ce type se venge. Il ne choisit pas ses victimes au hasard. Elles se ressemblent, toutes ! Même corpulence, des visages fins, triangulaires, des cheveux longs et bruns. Il cherche à se venger d’une femme qui ressemble à ça.

- Un amoureux éconduit ?

- C’est la première chose à laquelle j’ai pensé. Mais, il peut s’agir d’autre chose.

- Et tout cela ne nous mène pas très loin. Tu imagines le nombre de jeunes femmes qui ressemblent à ces quatre-là ? Nous n’avons aucun indice. Si ce type continue à ne pas faire d’erreur, nous allons passer des années à le chercher et il va y avoir beaucoup d’autres victimes.

- J’en ai bien peur, David.

Plantier regagna son bureau. Il était en colère et se sentait impuissant. Il était convaincu d’avoir à faire à un tueur unique. Un tueur méthodique, très bien organisé, sûrement très intelligent. Combien de fois allait-il encore tuer avant qu’on le prenne ? Deux ? Dix ? Plantier songea à cette histoire dont lui avait parlé son homologue américain**. Un type qui avait tué des centaines de personnes avant de se dénoncer. Il pensa aussi à Estelle. Il réalisa soudain qu’elle correspondait au profil des victimes ! Un instant, le commissaire divisionnaire Plantier, un des meilleurs flics de France, céda à la panique. Il mit un long moment à calmer les battements de son cœur. Il tendit la main vers son tiroir puis se ravisa. Il sortit faire un tour. Lorsqu’il rentra, trois heures plus tard, il s’enferma dans son bureau. Il avait longtemps hésité puis décidé de ne pas parler de ses peurs à sa compagne. Plantier décrocha son téléphone. Il eut une longue conversation avec un de ses amis, un psychiatre renommé. Le commissaire passa d’autres appels.

Le lendemain, des policiers se présentèrent à l’entrée de toutes les cliniques psychiatriques autour de Wavre et de Poitiers.

L’homme avala lentement ses cachets. Depuis quelques jours, il avait dû augmenter ses doses de médicaments pour apaiser les tremblements de son corps et ses angoisses. Il s’allongea sur son lit et respira profondément. Il fallait qu’il se calme. Dans quelques heures, ce serait la fin, le dénouement. Il tuerait, une dernière fois, celle qui l’avait tant humilié et fait souffrir. Un sourire sadique se dessina sur son visage. Après ? Après il s’occuperait de l’autre. Les médicaments firent effet. Il s’endormit.

En fin d’après-midi, il gara sa voiture sur le parking d’un immeuble dans la banlieue de Poitiers. La cité résonnait des cris des enfants jouant au foot devant les immeubles. L’homme ajusta sa chemise, prit le bouquet de fleurs sur le siège passager et pénétra dans l’immeuble. La jeune femme lui ouvrit, souriante. L’homme arrêta un moment son regard sur elle. Il la trouva belle. Après l’avoir longuement épiée, il l’avait abordée quelques jours plus tôt alors qu’elle rentrait chez elle, chargée de paquets. L‘occasion idéale ! Il lui avait proposé son aide. Chez elle, il avait repéré les lieux, étudié le petit appartement. Il y avait fait une deux réparations et ce soir, pour le remercier, elle l’avait invité à diner. La jeune femme mit les fleurs dans un vase et ils prirent l’apéritif. En la regardant, l’homme sentait monter des pulsions. Il les chassa. Il était encore trop tôt. Il voulait savourer sa vengeance, la finir en apothéose. Elle avait fait beaucoup d’efforts et le repas était succulent. Ils discutèrent un long moment, parlant de leurs vies. Elle avait rompu avec sa famille et s’était volontairement éloignée pour refaire sa vie. Lui, comme d’habitude, s’inventa une vie. Il savait le faire. Après un dernier verre, il annonça à la jeune femme qu’il allait partir. Conformément à son plan, il la précéda jusqu’à la porte puis se retourna.

- Je…. Tu es très belle.

Il tendit la main vers elle mais elle le repoussa.

- Non ! Je suis désolée.

- Mais, j’avais cru comprendre que…

- Je suis navrée. Pardonnez-moi si j’ai pu vous laisser croire que ça arriverait.

Elle recula vers le centre de la pièce. L’homme se rapprocha un peu plus. Elle saisit son téléphone.

- C’est un peu tard pour être navrée.

- Allez-vous-en ! J’appelle la police !

L’homme lui arracha le téléphone des mains et la saisit par le bras. Il la poussa jusqu’à la chambre et la projeta sur le lit. Elle se débattit. Il lui arracha ses vêtements puis se coucha sur elle.

La jeune femme pleurait. L’homme sentit la petite décharge électrique en bas de son dos. Le signal ! Il avait besoin de ça, de cette décharge d’adrénaline supplémentaire. Il avait besoin de voir la panique dans leurs yeux, cette peur qu’il avait vu dans ceux de cette femme qu’il haïssait quand la mort était venue la surprendre. Il posa ses mains sur la gorge de la jeune femme et serra. Elle rendit son dernier souffle à l’instant où il explosait en elle.

L’homme reprit son souffle, se rhabilla et alluma une cigarette. Il regarda le corps inerte. Quand il avait croisé la jeune femme, il avait tout de suite compris que c’était elle. Parce qu’elle lui ressemblait, encore plus que les autres. Il avait su que c’était elle qui chasserait ce fantôme qui le hantait.

- Voilà ! Cette fois-ci, tu es vraiment morte. Tu ne me feras plus de mal.

Il lui sembla que, sur le lit, le corps avait bougé. Il écrasa sa cigarette et s’approcha pour vérifier. Non, il avait rêvé. Quelques heures plus tard, il ressortit de l’immeuble.

Le lendemain soir, après sa première ronde, il se rendit à sa voiture. Il sortit le paquet du coffre et le transporta près de la cuve. Il ouvrit le couvercle. Cette fois-ci, il n’attendit pas que le liquide ait fait son œuvre. Il grimpa sur une échelle, s’assura que le paquet était bien immergé et coupa les drisses. Puis il regagna son bureau. Avant de les effacer, il copia les photos de son téléphone sur la clé U.S.B.

- Adieu Mademoiselle Cinq. Maintenant, je vais m’occuper de l’autre.

Il rangea la clé dans la poche de sa chemise. Il ignorait ce qui s’était passé dans l’entrepôt, quelques heures plus tôt…

Antoine Plantier était dans son bureau. Depuis plusieurs jours, il étudiait des rapports psychiatriques, essayait de faire un lien avec l’affaire. Les recherches dans les cliniques ne donnaient toujours rien. Son téléphone sonna.

- Commissaire Plantier.

- Salut Antoine, c’est Jean.

- Tu as du nouveau ?

- Oui et ce ne sont pas de bonnes nouvelles. J’ai une troisième disparition sur les bras. Isabelle Moiret. Ce sont ses collègues qui ont signalé son absence.

- J’arrive ! Je serai là dans quatre heures !

- Ok. Je t’attends.

Plantier prit le temps d’avertir son équipe.

- Tu veux que je t’accompagne ?

- Non, David. Tu as ta petite cette semaine, il me semble. Restes ici, je te tiendrai au courant.

- Ca marche.

Le commissaire se mit en route. Quelques heures plus tard, il se garait devant le commissariat de Poitiers.

- Te voilà enfin ! Tu as fait bonne route ?

- Oui. Content de te revoir, Jean.

- Moi aussi. Même si j’aurais aimé que ce soit dans d’autres circonstances.

- Vous en êtes où ?

- On t’attendait pour aller chez la disparue.

- Alors allons-y.

Les policiers investirent l’appartement de la jeune femme. Plantier se concentra sur les photos. Laissant la place aux hommes de la police scientifique, les deux commissaires se rendirent sur le balcon.

- Tu crois toujours à ton histoire de vengeance ?

- Oui.

Les deux policiers restèrent silencieux.

- Laissez-moi passer, jeune homme !

Plantier et Duverne se retournèrent. Une vieille dame se trouvait à l’entrée de l’appartement et invectivait le policier en faction. Ils s’approchèrent.

- Qu’est ce qui se passe ici ?

- Bonjour Madame. Je suis le commissaire Duverne et Voici le commissaire Plantier. Qui êtes-vous ?

- Alice Vernier. La voisine d’en face. Isabelle a fait une bêtise ?

- Non.

- Je me disais aussi. C’est une brave petite, vous savez.

- Venez, Madame.

Ils firent asseoir la vieille dame et, avec d’infinies précautions, la mirent au courant de la disparition de sa jeune voisine.

- Oh, mon Dieu !

La vieille dame hésita un moment.

-Ce doit être ce type !

Les deux policiers se regardèrent.

- Quel type, Madame Vernier ?

- Isabelle venait souvent boire le thé et papoter avec moi. Elle m’emmenait faire mes courses ou en promenade, parfois même, au cinéma. C’était une fille adorable. Il y a une semaine, elle m’a dit qu’elle avait rencontré un homme et, jeudi soir, il devait venir diner chez elle. Je sais que ce n’est pas bien mais j’ai guetté son arrivée. Le lendemain, je suis partie chez ma fille et je n’ai pas revu Isabelle.

- Vous avez vu cet homme ? Vous pourriez le décrire ? Le reconnaitre ?

- Oui. Enfin, juste vous le décrire. Vous savez, mes yeux ne sont plus aussi bons qu’avant.

Duverne héla une jeune policière.

- Nous vous remercions beaucoup, Madame Vernier. Vous allez répéter tout ce que vous venez de nous dire à ma collègue et, ensuite, vous pourrez rentrer chez vous.

Les deux commissaires se rendirent dans la chambre.

- Vous avez trouvé quelque chose ?

- Un mégot et des traces sur le couvre-lit. J’envoie tout ça au labo.

Plantier observa longuement le mégot de cigarette.

- Voilà, il l’a faite !

- De quoi parles-tu, Antoine ?

- Manifestement, Isabelle Moiret ne fumait pas. Son assassin a fait une erreur en laissant ce mégot derrière lui. Avec un peu de chance, son A.D.N. sera dans nos fichiers.

L’homme gara sa voiture dans le jardin. Il observa un instant la grande maison puis sonna.

- Ah, c’est toi ?

- Ben, oui.

- Qu’est-ce que tu veux ? De l’argent ?

- Non. Je passais juste te dire un petit bonjour et puis… Je voulais revoir la maison, une dernière fois.

- Une dernière fois ?

- Je vais m’en aller. Très loin. Et toi, comment vas-tu ?

- Il y a bien longtemps que tu ne m’avais pas demandé de mes nouvelles. Je vais bien. J’ai divorcé, il y a quelques mois.

- Et tes affaires ? Tu as toujours ta boite, en Belgique ?

- Oui. J’y vais une fois par mois. D’ailleurs, tu m’excuseras mais j’ai des coups de fil à passer. Tu n’as pas besoin de guide, je suppose.

- Non.

L’homme monta dans les étages. Ecoutant les bruit de conversation de l’autre, au rez- de- chaussée, il ouvrit, une à une, les portes. Il finit par trouver ce qu’il cherchait. Dans une chambre, il ouvrit son sac et en dissimula le contenu au fond d’une armoire. Puis il se rendit dans le bureau. L’ordinateur était allumé. Il connecta sa clé U.S.B. et la copia dans un fichier caché perdu au milieu des dossiers système avant de la reformater. Puis il redescendit.

- Voilà. Je vais m’en aller.

- Tu veux un verre ?

- Non. Je te remercie.

L’homme remonta dans sa voiture et quitta la maison. Il souriait. Sa vengeance était en marche. L’autre allait tomber dans le piège. Peu importait le temps que cela prendrait.

Plantier et Duverne discutaient dans un bureau. Les indices trouvés chez la dernière disparue avaient parlé. Mais, l’A.D.N. masculin retrouvé sur place était inconnu des fichiers de la police. Une fois de plus, ils devaient s’en remettre à la chance. Si celle-ci sourit parfois aux criminels, ce jour-là, c’est à eux qu’elle fit un signe. Le téléphone de Duverne sonna. Celui-ci écouta patiemment son correspondant puis raccrocha.

- On a trouvé le corps d’une femme, dans un entrepôt !

Ils se rendirent sur place. Le corps d’Isabelle Moiret, enveloppé dans une feuille de plastique transparent était posé au sol, au pied d’un alignement de cuves.

- Où l’avez-vous trouvée ?

- Dans cette cuve !

Plantier observa le cylindre de béton et d’acier.

- Une cuve d’acide sulfurique ? Comment se fait-il que ?

Le responsable de l’entrepôt s’expliqua.

- Il y a quelques jours, nous avons vidé cette cuve, pour la nettoyer et tester son étanchéité en la remplissant d’eau. Ce sont mes employés qui ont découvert le corps ce matin.

Les deux policiers sortirent sur le quai de chargement.

- Voilà pourquoi on ne retrouvait pas les corps. Il les dissout dans l’acide. Salopard ! Tu m’écoutes Antoine ?

Plantier sauta du quai, scrutant le sol, ramassant plusieurs mégots. Il en tendit un à son collègue

- Regardes !

- C’est un mégot, et alors ?

- La marque de cigarette ne te dit rien ? Dis aux gars de la scientifique de ramasser tout ça et de comparer les A.D.N avec celui qu’on a déjà.

- C’était quoi, déjà, ton surnom à l’école de police ?

- Œil de Lynx ! Pourquoi ?

- Pour rien.

L’homme referma le cahier de garde. Ses mains tremblaient. Comment avait-il pu oublier ça ? Accaparé par son désir de vengeance et par le meurtre qu’il préméditait, il n’avait plus pensé à cette opération de maintenance. Il pensa un instant à fuir puis se calma. Après tout, la découverte du corps lui rendait service. Elle allait accélérer la chute de l’autre. Il quitta son bureau et partit faire sa ronde.

Les deux commissaires s’installèrent à la terrasse du café. Depuis la découverte du corps d’Isabelle Moiret, leur enquête piétinait. Plantier avait plusieurs fois songé à rentrer sur Cahors mais son instinct de chasseur de criminels lui ordonnait de rester sur Poitiers.

- Tu prends quoi ?

- Une bière.

Duverne commanda deux bières.

- Tu viendras à notre mariage ?

- Bien sûr ! J’ai hâte de rencontrer le phénomène qui a réussi à te passer la corde au cou !

- Estelle est une fille extraordinaire.

- Il lui fallait au moins cette qualité pour…

Plantier envoya un coup de pied à son collègue. Il n’avait pas vraiment prêté attention à l’homme installé à la table voisine. Mais celui-ci venait de sortir son paquet de cigarettes et de le poser sur la table. Les deux policiers l’observèrent à la dérobée. Il correspondait au signalement donné par la voisine d’Isabelle Moiret.

- On poursuit ?

- On poursuit ! Je conduis et tu récupères ?

- Ca marche !

Les deux policiers reprirent le fil de leur conversation. L’homme passa deux ou trois coup de téléphone, termina son café, ramassa ses affaires et partit. Plantier le suivit. Duverne se leva et, tendant sa carte au serveur médusé, confisqua la tasse et le cendrier.

L’homme se dirigea vers un quartier résidentiel dans la banlieue de Poitiers et entra dans la cour d’une grande maison. Plantier se gara dans la rue. Il attendit que l’homme soit rentré chez lui pour descendre de voiture. En passant devant la maison, il releva le nom inscrit sur la boîte aux lettres, revint à son véhicule et appela son adjoint.

- Salut David !

- Tiens ! Bonjour, chef !

- T’es lourd David, vraiment.

- Désolé. Tu as du nouveau ?

- Trouves-moi tout ce que tu peux sur un certain Loisant. Je te donne son adresse.

- Ok. Je te rappelle dès que je sais tout. Sûrement pas avant demain.

- Je te remercie. Au fait, David… C’est un plaisir d’être ton chef.

Plantier raccrocha et revint au commissariat.

- Tu l’as logé ?

- Oui. Mon équipe va nous faire son pedigree.

- Vous avez vraiment de si gros moyens que ça ? Et accès à tout ?

- Si tu savais ! Je ne suis pas fan d’informatique, mais je reconnais que de pouvoir aller se balader dans les bases de données de toutes les administrations nous aide beaucoup.

- Et sans demander de commission à un juge, je suppose. Bravo ! Elle est belle la police moderne !

- Disons que nous avons une autorisation spéciale… Et permanente !

- Je vois. J’ai envoyé tout ce que j’ai récupéré au labo pour les comparaisons d’A.D.N. on saura demain soir.

Les heures passèrent. Tôt, le lendemain matin, le téléphone de Plantier sonna.

- Je t’écoute, David.

- Ton type s’appelle Frédéric Loisant. Il est divorcé, sans enfants. Son père est mort dans un accident d’avion il y a vingt-cinq ans. Sa mère d’une crise cardiaque, il y a trois ans.

- C’est tout ?

- Non. J’ai gardé le meilleur pour la fin. Il est ingénieur chimiste. Il dirige une boite qui recycle les déchets chimiques. Cette boite est basée à …

- Wavre, en Belgique !

- Exact ! Et ce n’est pas tout. Sa boite compte parmi ses clients une société installée à Poitiers. Celle où vous avez retrouvé le corps. Voilà, chef. Qu’est- ce – qu’on dit à son subalterne préféré ?

- Que tu es très con, quand tu t’y mets ! Mais que tu bosses super bien. Merci David.

Le visage mangé par une barbe naissante, coiffé d’une casquette à large visière, l’homme se tassa sur son siège lorsqu’il vit arriver les voitures de police. Quelques minutes plus tard, un sourire se dessina sur ses lèvres quand il vit l’autre sortir, menottes aux poignets.

- Alors ? Qui c’est le pauvre con, maintenant ?

Il démarra, prenant la direction opposée de celle de la voiture qui emmenait l’autre.

Frédéric Loisant était assis dans la salle d’interrogatoire. Derrière la vitre, Plantier l’observait. Le suspect s’était d’abord insurgé puis il s’était calmé et livré de bonne grâce au prélèvement d’A.D.N. Maintenant, il paraissait plus détendu, sûr de lui. Le moment était venu de l’interroger.

- Bonjour, Monsieur Loisant. Je suis le commissaire Antoine Plantier.

- Je croyais que c’était le commissaire Duverne qui…

- Je sais. Mais disons que je m’occupe des affaires un peu spéciales, comme celle-ci.

- Affaires spéciales ? J’aimerais savoir de quoi on m’accuse.

- De meurtre. Vous êtes accusé du viol et du meurtre de cinq femmes, ici et en Belgique. Vous connaissez la Belgique, n’est-ce pas ?

- J’y ai une entreprise, mais je ne vois pas le rapport.

- Je vais vous le dire. Vous dirigez une entreprise qui traite les déchets chimiques. Or, nous avons la certitude que les corps de quatre de ces jeunes femmes ont été dissouts dans de l’acide. Ce qui fait que je peux rajouter la préméditation aux faits qui vous sont reprochés.

- Vous êtes fou !

- Vous savez, Monsieur Loisant, des tests A.D.N. sont en cours. Ils finiront par nous dire la vérité ou, tout du moins, une grande partie de celle-ci. Et puis, nous avons fait une visite complète de votre belle maison.

- Vous ne trouverez rien ! Et je n’ai rien à me reprocher ! Je veux parler à mon avocat.

- Impossible ! Vous n’êtes pas en garde à vue. Mais cela ne saurait tarder.

Duverne passa la tête à la porte de la salle et fit signe à son collègue qui sortit.

- Tu avances ?

- Il nie.

- je crois qu’on a de quoi le faire craquer. Viens.

Les deux hommes se rendirent dans un autre bureau.

- Voilà. En fouillant chez lui, on a trouvé des fringues cachées au fond d’une armoire. Je les ai envoyées au labo. Mais, le plus intéressant c’est ça !

Plantier regarda stupéfait l’écran que Duverne venait de tourner vers lui. Quelques minutes plus tard, il retourna en salle d’interrogatoire et s’assit en face du suspect.

- Je suis innocent. Je n’ai jamais commis ces horreurs.

- Je ne demande qu’à vous croire, Monsieur Loisant. Mais, voyez-vous, nous avons un petit problème.

Plantier ouvrit l’ordinateur portable qu’il avait amené avec lui et afficha des photos.

- Vous les reconnaissez ?

- Non.

- C’est étonnant, Monsieur Loisant. Parce que ces photos sont celles des cinq jeunes femmes que vous avez violées et assassinées. Nous les avons récupérées dans votre ordinateur.

- Je n’ai jamais vu ces femmes et encore moins ces photos.

- Comme vous voudrez. Il est quinze heures dix. A partir de cette minute, Monsieur Loisant, vous êtes en garde à vue.

- Je veux appeler mon avocat !

- C’est votre droit. Je vais vous faire conduire au bureau réservé à cet usage.

Le commissaire quitta la pièce. Le planton vint chercher le suspect et le conduisit à travers les couloirs. En passant au- dessus du hall d’entrée, Loisant bouscula le policier et enjamba la rambarde…

Plantier et Duverne étaient dans le bureau de ce dernier lorsqu’un agent entra dans la pièce.

- Loisant vient de se suicider !

Les deux policiers se regardèrent, stupéfaits.

L’homme replia le journal. Il termina sa cigarette et rejoignit sa voiture. Il était temps, pour lui, de partir.

Antoine Plantier rejoignit son bureau. Avec Estelle et le traiteur, il venait de régler les derniers détails de leur repas de mariage. Son téléphone sonna.

- Salut Jean. Ca va ?

- Pas vraiment.

- Comment ça ?

- Je viens d’avoir les derniers résultats du labo, Antoine. On s’est plantés.

- Que veux-tu dire par là ?

- Le labo a d’abord cru que les A.D.N. étaient identiques mais ils ont approfondi les analyses et ils ont trouvés d’infimes différences.

- Conclusion ?

- Loisant avait un frère. Un frère jumeau ! Notre tueur est toujours dans la nature !

- Et merde !

Dresde, Allemagne, quelques mois plus tard.

L’homme prit son service et effectua sa première ronde. Il repéra les lieux avec précaution puis revint à son bureau. Il pensa soudain à elle, sa mère et à l’autre. Il n’était qu’un enfant quand son père s’était tué aux commandes de son avion. Sa mère avait pris le relais, courageusement. Elle les avait couvés, choyés, lui et l’autre, son frère. Les deux garçons avaient entamé de brillantes études. Et puis, un soir, dans une fête, tout avait basculé. Un peu trop d’alcool, le taff de trop tiré sur le joint qui circulait et il avait dérapé. Il avait tenté d’abuser d’une de ses amies. On l’avait renvoyé de la faculté. Sa famille l’avait rejeté. Sa mère surtout. Elle avait, dès lors, passé son temps à l’humilier, l’avait délaissé puis fini par le déshériter. Une dernière fois, presque quatre ans plus tôt, il avait tenté de se réconcilier avec elle. C’est au cours de cette dispute qu’elle avait succombé à une crise cardiaque. Juste après, il avait décidé de se venger d’eux. Il avait tué des femmes parce qu’elles ressemblaient à sa mère quand elle était jeune, il les avait humiliées pour se laver des humiliations qu’elle lui avait infligées. Et puis il avait eu l’idée de tendre ce piège à son frère. Il s’était fait embaucher dans sa société, en Belgique, comme gardien de nuit, puis chez un de ses clients. Il avait dissimulé des preuves chez lui. Et cet idiot s’était laissé prendre. Ces derniers mois, il avait savouré sa vengeance, il s’était reposé. Mais il n’avait pas résolu tous ses problèmes. L’homme alluma son téléphone et ouvrit son dossier photo.

- Bonsoir, Mademoiselle Six.

* Rencontres mortelles

** Le prisonnier de Cumberland

Rédigé par LIOGIER François

Publié dans #NOUVELLES

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